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La liberté d’expression au défi de la désinformation

Rédacthon

Le changement climatique n’existe pas. Clinton est complice de pédophilie dans une pizzeria. Taylor Swift est enceinte. Vous y croyez, vous? De plus en plus d’informations sont consommées en moins en moins de temps. Il devient parfois dur de discerner le vrai du faux. Alors que l’essor des réseaux sociaux joue un rôle important de vecteur d’informations et que chacun s’y exprime librement, des questions se posent sur la véracité des contenus.

En début d’année, Mark Zuckerberg a annoncé que Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) mettrait fin à son programme de fact-checking aux Etats-Unis, accusé d’être trop politisé et trop progressiste. Zuckerberg a déclaré que l’élection présidentielle de Donald Trump constituait «un tournant culturel, où la liberté d’expression redevient une priorité»1> Dépêche AFP du 07.01.2025.. Mais qu’implique cette «liberté d’expression»? Et à qui profite-t-elle réellement?

Depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, le flux continu d’informations a rendu la frontière entre liberté d’expression et désinformation encore plus fine et fragile. A l’ère du numérique, chacun peut devenir producteur d’information. La désinformation devient alors une véritable arme d’influence, notamment sur les réseaux sociaux. Ces derniers permettent presque de tout dire, quitte à même s’écarter de la vérité.

Comme l’écrit le journaliste et chercheur Peter Pomerantsev, expert de la désinformation: «Une plus grande quantité d’informations aurait dû signifier plus de liberté, mais les puissants disposent désormais de davantage de moyens pour combattre et réduire au silence les dissidents. L’accès à davantage d’informations aurait dû favoriser un débat public mieux informé; au contraire, nous n’avons jamais été aussi incapables de prendre des décisions.»2> A. Camilli, Internazionale, 08.08.2019, tinyurl.com/ycyhhm8d

Les partis populistes comme celui de Trump, étroitement lié aux magnats du numérique (Zuckerberg, Musk, Bezos…), invoquent la «liberté d’expression» et la «démocratie» pour laisser circuler des discours d’extrême droite, fascistes, racistes, homophobes de manière totalement décomplexée. Les utilisateurs partagent, commentent, amplifient et contribuent à la circulation de ce type d’informations, selon un mécanisme dit de «propagande participative». Ce phénomène met en lumière le rôle actif des internautes, qui deviennent de potentiels vecteurs de désinformation. Au final, ces discours s’installent dans le débat public et finissent par être normalisés.

Une étude de la société Alto Data Analytics portant sur les commentaires liés au thème de l’immigration en Italie, produits sur Twitter entre février et juillet 2017, montre que les comptes d’utilisateurs opposés à l’immigration – numériquement les moins nombreux – étaient les plus actifs. Parmi ces derniers, une petite moitié d’utilisateurs, appartenant à la sphère d’extrême droite, avait produit 44% de l’ensemble de tous les commentaires3> A. Camilli, Internazionale, 08.08.2019, tinyurl.com/ycyhhm8d.

A côté de ces types de discours problématiques circulant librement au nom de la liberté d’expression, d’autres voix – dissidentes – sont étouffées, marginalisées ou criminalisées. Le cas de Mahmoud Khalil, étudiant palestinien à l’université Columbia, à New York, en est un exemple: arrêté par l’administration Trump et accusé de soutien au terrorisme et d’antisémitisme, il incarne la stratégie de «criminalisation de la dissidence» étasunienne4> C. McGreal, The Guardian, 20.03.2025, tinyurl.com/2s2nvhdt.

Pouvoir et désinformation s’articulent alors: des voix qu’on ne souhaite pas entendre sont discréditées, tandis que des informations trompeuses sont diffusées à l’avantage de ceux qui les produisent. Ce désordre informationnel installe un climat de doute, dans lequel tout fait peut être remis en question. La formation des opinions s’en trouve directement touchée et le débat démocratique affaibli. Les réseaux sociaux, où vitesse et viralité l’emportent sur la véracité, accentuant encore cette dynamique.

Si l’accès à l’information est un droit fondamental lié à la liberté d’opinion, la manipulation de l’information affecte le fonctionnement même de la démocratie. Cela pose une question essentielle: la désinformation relève-t-elle de la liberté d’expression ou constitue-t-elle une atteinte à notre droit fondamental à une information fiable?

Notes[+]

Texte rédigé dans le cadre du «Rédacthon» organisé à Genève par le Centre de conseils et d’appui pour les jeunes en matière de droits de l’homme (Codap) et Le Courrier.

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