La bande de Gaza reste depuis deux ans murée dans un silence forcé, en dépit des demandes de levée du blocus médiatique israélien qui se multiplient depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 10 octobre. Presque aucun journaliste étranger n’a pénétré dans l’enclave depuis octobre 2023, relève Irene Khan, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la liberté d’expression.1>Assemblée générale de l’ONU, rapport Irene Khan, A/79/319, 23 août 2024, https://docs.un.org/fr/A/79/319 Pour Reporters sans frontières, cette situation, outre le fait qu’elle «signe l’abandon des journalistes palestiniens à leur sort funeste», représente «une atteinte sans précédent au droit du public à l’information».
De fait, le droit de recevoir «librement» des informations est une composante essentielle de la liberté d’opinion et d’information, protégée par l’article 19 du PIDCP (Pacte international relatif aux droits civils et politiques)2>Ratifié par Israël le 3 octobre 1991.. Or, l’inaccessibilité de la zone de conflit aux journalistes internationaux rend difficile son exercice. Alors que la liberté de presse, également garantie par le PIDCP, est elle aussi attaquée par Israël, c’est notre droit à l’information qui est mis en péril.
A Gaza, les civils ont pris le relais, garantissant eux-mêmes l’accès à l’information à l’aide de smartphones. C’est aussi par ce moyen que communiquent avec eux les journalistes de l’extérieur, telle Amira Hass, correspondante permanente en Cisjordanie du quotidien israélien indépendant Haaretz. Dès le début du génocide, des profils de reporters gazaoui·es, tel·les qu’Azaiza ou Plestia Alaqad, sont apparus. Grâce à l’essor des réseaux sociaux, ces locaux, qu’ils et elles soient professionnel·les ou simples citoyen·nes, ont pu diffuser leurs paroles et leurs images au-delà du mur qui les sépare du reste du monde. Malgré un danger permanent, ils et elles incarnent une résilience fondamentale pour garantir l’accès à l’information. Leurs témoignages, symbolisés par la phrase introductive de Bisan Owda, «I am still alive», défient les obstacles de la guerre pour informer.
Pourtant, ce courage se heurte à un échec cuisant du droit international humanitaire, qui accorde aux journalistes le statut de «civils» – ce qui signifie qu’ils et elles ne peuvent être attaqué·es, sous condition de leur non-participation aux hostilités. Avec quelque 220 morts en deux ans, le nombre des professionnel·les des médias tués à Gaza en fait l’une des guerres les plus meurtrières pour les journalistes. Ce record macabre montre que la transmission d’information, ses structures et ses acteurs ont été délibérément ciblés, rendant caduque la protection légale sur le terrain. En réaction, Reporters sans frontières a déposé quatre plaintes pour crime de guerre contre les journalistes auprès de la Cour pénale internationale.
Le relais pris par les Gazaoui·es n’exonère en rien Israël de ses responsabilités. Le Syndicat des journalistes palestiniens recense la destruction de près de 70 organisations de presse3>Irene Khan, A/79/319.. Bien que le droit international humanitaire protège les bâtiments civils, l’actuel gouvernement israélien invoque régulièrement la présence de terroristes pour en justifier l’attaque.
En parallèle, Israël se montre virulent à l’égard de la liberté de la presse. Récemment, le premier ministre, Benjamin Netanyhaou, à déclaré son intention de poursuivre le New York Times en justice4>Forbidden stories, 27.03.2025.. La Cour suprême israélienne traite actuellement une demande de l’Association de la presse étrangère à Jérusalem (Foreign Press Association) concernant l’accès aux journalistes à l’enclave palestinienne. C’est la septième fois que la question est repoussée par la Cour, qui vient d’accorder à l’Etat d’Israël un nouveau délai de trente jours pour actualiser sa position.
Par ailleurs, l’entrave au droit à l’information exercée par Israël trouve son écho dans certains médias occidentaux. En octobre 2023, la BBC a ainsi lancé une enquête contre six journalistes de son service d’information en arabe pour manque d’objectivité, rapporte Irene Khan. Le Los Angeles Times aurait également interdit à 38 de ses collaborateurs d’aborder la question palestinienne en raison de leur signature d’un appel condamnant l’assassinat des journalistes gazaoui·es. Ces mesures de rétorsion des organes de presse contre leurs propres journalistes constituent autant d’entraves à l’exercice de notre droit à l’information.
Tant le changement d’acteurs dans la défense du droit à l’information que la virulence des Etats à son égard questionnent la pérennité de ce droit. En ne garantissant plus sa protection, les gouvernements ont contraint la société civile à agir à la hauteur de ses moyens. En septembre dernier, un appel réunissant près de 300 médias du monde entier dénonçait le meurtre des journalistes palestinien·nes. Ils demandent d’avoir enfin accès à la bande de Gaza. A ce jour, l’appel reste sans réponse.
Notes