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Chiapas: de meilleures conditions de vie pour une meilleure santé

A votre santé!

J’ai retrouvé, neuf ans après ma première visite, une petite communauté indigène du Chiapas accompagnée depuis lors par l’association Madre Tierra – MTS en suisse et MTM au Mexique – avec un financement de la Fédération genevoise de coopération (FGC). Et force est de constater les changements.

Je me souviens d’une population contente d’avoir récupéré, vingt ans plus tôt, des terres d’un grand propriétaire dans le cadre de la lutte du mouvement zapatiste, mais qui peinait à s’organiser pour en tirer autre chose que des haricots rouges et du maïs. Elle vivait dans une situation de survie et expliquait sa déception devant une pompe d’irrigation donnée quelques années plus tôt et qui n’avait marché que très peu de temps, avant d’être grillée par un court-circuit. Les gens n’avaient jamais pu la réparer. Ces familles paysannes ne pouvaient donc, par manque d’irrigation et malgré la présence d’une rivière à travers leurs terres, assurer qu’une seule récolte par année, ce qui suffisait à peine pour leur alimentation. Il y avait bien de l’eau dans les arrière-cours des maisons mais, vendue très cher par une communauté voisine, elle était uniquement destinée à l’usage domestique, avec plusieurs jours sans eau chaque semaine. Pas de toilettes en revanche. Et la cuisine se faisait sur des feux de bois ouverts, avec de la fumée permanente. Des petits enfants marchaient à quatre pattes dans cet environnement et avaient clairement des signes de dénutrition chronique avec des ventres pleins de parasites.

L’ONG MTM commençait à peine un travail en motivant les habitant·es à s’organiser pour ensemble améliorer leur situation. Les plus mobilisé·es avaient déjà construit un petit couvert servant de lieu de réunion et s’étaient mis·es à la culture d’une petite parcelle démonstrative de légumes avec plantations de quelques fruitiers. Mais beaucoup restaient en marge, sceptiques devant de nouvelles promesses, comme celles déjà reçues des politiciens locaux avant chaque élection et jamais suivies de soutien concret. Ils et elles n’avaient que très peu de contacts avec le système de santé du fait de leur isolement et ne recouraient donc aux soins que tardivement.

En 2025, chaque maison a son four à bois pour cuisiner, ses toilettes sèches, de l’eau potable tirée d’un puits et distribuée grâce à un château d’eau réhabilité, une petite aire écotouristique avec piscines et restaurant permettant à la communauté d’avoir quelques revenus – ayant par exemple permis cette année de participer à l’achat d’une nouvelle pompe pour irriguer des champs fonctionnant avec des panneaux solaires. La parcelle de permaculture fournit l’essentiel des légumes pour le restaurant, et de nombreux arbres fruitiers ont été plantés. Chaque famille a aussi son jardin potager, qui sera encore plus facile à cultiver grâce au système d’irrigation qui commence aussi à être installé dans chaque «patio». Et surtout, toutes les familles participent maintenant au travail collectif et se réjouissent des changements.

J’ai eu l’occasion de faire des consultations médicales lors de mon passage et j’ai pu constater que les enfants étaient moins nombreux, mais bien nourris (parfois même un peu trop). En revanche, cette population n’a toujours qu’un accès limité au système de santé: les accouchement en particulier ont encore souvent lieu au village et les enfants ont peu accès aux vaccins; le centre de santé le plus proche est à 1h30 de transport public (avec le coût qui va avec!) et il n’est pas rare que les vaccins manquent! Actuellement, les deux principaux problèmes de santé infantiles concernent la sous-vaccination et les caries multiples.

Tout cela ne s’est pas fait en un jour: l’accompagnement de MTM a consisté essentiellement à former des promoteurs et promotrices de santé communautaire et de permaculture et à fournir le matériel nécessaire aux réalisations d’infrastructures. Ces promoteur·trices sont aussi chargé·es de veiller au bon usage, à la maintenance et à l’appropriation des nouvelles installations. Ils et elles sont choisi·es par les villageois et supervisés par l’équipe de MTM. Tout n’est pas simple évidemment, car souvent les promoteur·trices les plus jeunes et les mieux formé·es sont tenté·es de migrer dans l’espoir d’une vie meilleure. Il faut donc en former à nouveau. Sans parler de l’insécurité qui règne dans certaines régions du Chiapas, liée au trafic de drogue et aux combats entre cartels.

Si maintenant la communauté est très autonome, MTM peut toutefois encore accompagner, par exemple en formant un comité responsable de la gestion de l’eau et du petit «complexe écotouristique», en fournissant des matériaux mieux adaptés lors d’un changement de cheminée d’une cuisinière, ou encore dans l’amélioration du centre agrotouristique et des habitations. Il faut du temps pour changer les habitudes et pouvoir mesurer ces changements, ce que les bailleurs de fonds parfois peinent à comprendre.

Mais après près de dix ans, on peut dire que cette petite communauté du Chiapas est en meilleure santé grâce à l’amélioration de ses conditions de vie: les gens restent pauvres, mais dignes, et produisent une alimentation équilibrée et sans produits phytosanitaires, dont ils arrivent même parfois à vendre un surplus.

Bernard Borel est pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle. Actuellement au Chiapas (Mexique).

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