Le bras-de-fer est engagé. Depuis lundi, les maçons défilent dans les rues. Hier, une grève a paralysé environ 80% des chantiers vaudois. Le renouvellement de la convention collective de travail (CCT), qui a lieu tous les quatre ans, s’inscrit dans un durcissement des rapports sociaux.
Traditionnellement, ces négociations se déroulent dans un climat rugueux. Mais auparavant, des interstices laissaient imaginer une sortie du conflit. Il y a quatre ans, le ton s’était déjà durci. Là où des sections cantonales de la partie patronale, la Société suisse des entrepreneurs (SSE), laissaient entendre qu’elles étaient prêtes à lâcher du lest, on assiste aujourd’hui à un discours davantage vertical et verrouillé. Les sections cantonales sont tenues à l’écart.
La faîtière nationale a non seulement pris le dessus dans une mesure plus importante, elle semble aussi s’être radicalisée – ces sphères sont séduites par le discours patronal style UDC. Résultat, les discussions sont dans l’impasse. Et dans deux mois, les quelque 80’000 maçons suisses se retrouveront dans un vide conventionnel.
C’est dangereux pour au moins deux raisons. Tout d’abord parce que le gros œuvre mérite mieux. Ces professions sont pénibles et dangereuses, d’où la possibilité de prendre une retraite anticipée à partir de soixante ans. De plus, elles peinent à trouver du personnel qualifié. Dégrader les conditions de travail, comme l’exige la SSE, est à rebours du bon sens économique.
Ainsi, les départs de cette profession sont plus nombreux que dans d’autres secteurs. Particulièrement parmi les jeunes. Or que propose la SSE? De réduire les salaires pendant les cinq premières années après l’apprentissage. Pas étonnant que 10% des personnes concernées quittent la branche. Les syndicats estiment à un tiers des effectifs nécessaires le manque de travailleur·euses à l’horizon 2040.
Cette année, on a vu réapparaître la revendication patronale d’une semi-annualisation des horaires de travail. En clair: de longues journées en été et du chômage en hiver. C’est faire peu de cas du droit à une vie sociale durant les beaux jours. Et c’est oublier que le réchauffement climatique est passé par là: la pénibilité du travail en été a augmenté.
Deuxième raison de garder un œil sur ce conflit social: la CCT des maçons est emblématique et constitue un marqueur des rapports sociaux en Suisse. C’est une vraie convention collective, pas une transcription minimaliste du Code des obligations. Le but est-il de pousser à la sous-traitance, au travail au noir et au dumping salarial? Le message est désastreux, en pleine négociations sur les Bilatérales III.
Attaquer cette CCT comme le fait la SSE, c’est œuvrer à une dégradation des conditions de travail plus large selon la logique bien connue des dominos. Hier, les tunneliers du Gothard ont cessé le travail: un signal, dans ce secteur très qualifié. Le danger des attaques est donc bien compris des travailleuses et des travailleurs qui se mobilisent largement. La question se posera de savoir si les autorités politiques, ne serait-ce qu’au niveau cantonal, ne devront pas intervenir.