Un loyer mensuel brut de 1860 francs pour un 4,5 pièces tout neuf au centre-ville de Zurich, voilà qui ressemble à un canular sur un marché immobilier en totale surchauffe. C’est pourtant la ville elle-même qui a publié cette annonce pour un appartement situé au cœur d’un nouveau lotissement baptisé Hardau 1, une zone où la ville de Zurich loue des logements à prix coûtant, soit des loyers basés sur les coûts.
La Municipalité avait acquis du terrain à cet endroit dans les années 1960, ce qui lui permet de pratiquer encore de tels loyers basés sur le prix d’acquisition de l’époque. Le prix du terrain à bâtir est le facteur numéro un qui entraîne aujourd’hui la hausse des loyers à Zurich. Depuis le milieu des années 1970, le prix au m2 a été multiplié par douze.
Un tel appartement proposé par des gérances privées coûterait trois fois plus cher. Les locataires de ces logements municipaux auraient économisé sur une période de 25 ans un million de francs, voire 1,5 million si l’on tient compte d’un taux d’intérêt modéré. Mais ces loyers suscitent la convoitise. Celles et ceux qui n’y ont pas droit se demandent notamment si ce sont les bonnes personnes qui profitent de cette offre.
Le tribunal a tranché
La question est à l’agenda à Zurich, car la ville veut procéder à l’expulsion la plus massive de son histoire de locataires ne remplissant plus les critères et qui devront quitter leur logis. Les premières mesures doivent être mises en œuvre cette année.
C’est un article publié il y a une dizaine d’années dans le Tages-Anzeiger qui avait mis le feu aux poudres. Une députée fortunée siégeant au parlement de la ville, membre de l’UDC, avait utilisé un appartement loué bon marché en ville de Zurich comme résidence secondaire, ceci en complément de sa villa à Uster, toujours dans le canton de Zurich. D’autres cas ont été rendus publics depuis.
«Il est essentiel que des offres de remplacement raisonnables soient proposées» Walter Angst
L’adoption d’un nouveau règlement de location en a été le résultat politique, la ville y fixant l’occupation minimale, l’obligation de résidence et des plafonds de salaires. Ces règles sont en vigueur depuis 2019 avec une période transitoire de cinq ans. Mais des recours retardent le processus. Une femme vivant seule dans une maison de six pièces a porté son dossier devant le Tribunal fédéral, plus haute instance juridique du pays. Mais elle a été déboutée.
Dans un arrêt, le TF a estimé en effet qu’en fonction de la pénurie actuelle de logements vacants à Zurich, la ville avait un intérêt tout légitime à attribuer ces appartements de façon socialement équitable. Cette décision a ouvert la voie à un examen de l’ensemble des baux à loyer concernés.
Feuille d’impôt consultée
Après analyse, la ville a annoncé que sur les 7400 appartements qu’elle proposait à des loyers basés sur les coûts, 1100 étaient sous-occupés, et 150 de façon criante. Les autorités ont décidé de se pencher d’abord sur ces 150 baux les plus problématiques et vérifier si l’obligation de résidence est respectée pour une centaine d’autres. Elle s’intéressera ensuite aux divers cas de sous-occupation de logements.
Mais l’examen sur les revenus des locataires, lui, attendra. La ville doit se baser sur les déclarations fiscales de trois exercices, tous postérieurs à la période transitoire. Ces mesures doivent être échelonnées dans le temps. Les autorités doivent dénicher de nouveaux logements pour les personnes directement touchées, relève Kornel Ringli, porte-parole de l’office des immeubles de la ville de Zurich. Les personnes qui occupent un appartement avec trop de pièces en fonction de leur nombre, selon le calcul qu’une pièce de plus que le nombre d’occupants est autorisée, doivent recevoir deux offres de remplacement de la part de la ville. Et la rupture du bail n’intervient que si ces offres sont rejetées. «La résiliation n’est pas notre objectif. Nous faisons beaucoup d’efforts à reloger ces personnes», précise Kornel Ringli.
Pour les cas de rigueur, la ville a prévu plusieurs exceptions. Lorsqu’une séparation intervient au sein d’une famille, le partenaire qui a déménagé est pris en compte dans le calcul du taux d’occupation, ceci jusqu’à ce que les enfants atteignent leur majorité. «Il est essentiel que des offres de remplacement raisonnables soient proposées», réagit Walter Angst de l’Association des locataires.
Appréciation large
Concernant les revenus des locataires, l’appréciation reste large. La règle voudrait que le revenu imposable ne dépasse pas quatre fois le montant du loyer au moment de l’emménagement. Par la suite, celui-ci ne devrait pas dépasser six fois ce montant. Mais la ville continue de fermer les yeux pour environ 15% de ses locataires. Et ce n’est que lorsque la part des hauts revenus s’avère trop élevée qu’elle intervient. Les dossiers les concernant sont traités alors en priorité pour atteindre un seuil de 15%.
Les autorités zurichoises mettent en avant la mixité sociale et la prévention de la ghettoïsation pour justifier ce seuil. La ville va même jusqu’à proposer des logements de remplacement aux personnes à des revenus imposables de 230 000 francs par an. Et à des familles avec un salaire brut de 300 000 à 320 000 francs. En gagnant ces sommes, il reste par conséquent encore possible à Zurich, pour favoriser la mixité sociale, de loger dans ces appartements à loyers modérés. SWISSINFO
Loyers municipaux convoités
Louer des appartements municipaux aux personnes qui en ont réellement besoin? C’est l’exercice difficile auquel se livre la ville de Zurich qui en possède 7400 et qui a adopté en 2019 un nouveau règlement pour mettre fin aux privilèges. Mais ce dernier ne prévoit par exemple pas de recenser parmi les locataires, celles et ceux qui proviennent du sérail politique et les fonctionnaires municipaux.
Economiste spécialisé dans l’immobilier et professeur à l’Université de Zurich et à la London School of Economics, Christian Hilber voit dans le cas de la ville de Zurich un signe de préservation des acquis et de maintien des privilèges d’un cercle restreint et informé. «Ces logements municipaux sont rarement attribués aux personnes qui en ont le plus besoin, mais à celles qui sont les mieux informées, les plus connectées ou les plus persévérantes», analyse-t-il. D’où un système avec des personnes initiées et d’autres exclues.
Pour Christian Hilber, une des solutions serait, pour résoudre les problèmes à Zurich, d’instaurer des loyers variables en fonction des revenus. Voilà qui reviendrait à passer d’un système de subventionnement des objets à un subventionnement des sujets. La réussite professionnelle, comme une promotion obtenue dans son métier, n’aurait plus comme aujourd’hui un impact sur la situation résidentielle. Mais dans le même temps, les hauts revenus ne pourraient plus profiter de ces loyers bas fixés par l’Etat. ML, SWISSINFO
«Il est essentiel que des offres de remplacement raisonnables soient proposées» Walter Angst