L’initiative populaire socialiste [annoncée en août] vise à inscrire dans la Constitution la responsabilité conjointe de la Confédération et des cantons dans la lutte contre la violence patriarcale. Le texte prévoit l’instauration de normes minimales contraignantes pour assurer la prévention, la protection et l’accès aux services d’aide, afin que les victimes bénéficient d’un soutien homogène sur l’ensemble du territoire. La Confédération serait également tenue de financer une part substantielle de ces mesures.
Cette démarche est particulièrement pertinente dans le contexte suisse, où la situation des violences sexistes et sexuelles est particulièrement alarmante. Les féminicides, les meurtres de femmes liés à leur genre, souvent par un partenaire, ex-partenaire ou membre de la famille sont structurels: toutes les deux semaines, une femme est tuée dans ces circonstances. Malgré des cas bien documentés, aucun organisme officiel ne compile de statistiques systématiques sur ces féminicides1>A consulter: Stopfemizid documente les féminicides et tentatives de féminicides en Suisse: www.stopfemizid.ch/francais. La notion de féminicide n’est par ailleurs toujours pas reconnue dans les textes officiels, le Conseil des Etats ayant rejeté ce terme en 2020.
Attention aux méthodes. Aujourd’hui, la prévention, l’éducation et le suivi des antécédents de violence sont insuffisants, et chaque féminicide révèle l’échec collectif des mécanismes de protection, de la police et de la justice. Le projet d’initiative du PSS répond ainsi à une problématique urgente, mais la vision portée par certain·es représentant·es socialistes mérite d’être interrogée. Dans une chronique parue récemment, le conseiller national socialiste neuchâtelois Baptiste Hurni a pris pour exemple le triple féminicide de Corcelles pour évoquer sa reconnaissance envers le travail des forces de l’ordre, qui agiraient «avec rigueur et proportionnalité».
Ce type de mise en avant occulte une réalité bien connue: la police n’est pas un acteur fiable dans le traitement des violences sexistes et sexuelles. Les victimes qui osent porter plainte se heurtent trop souvent à des accueils empreints de préjugés, à des refus d’enregistrer la plainte, à la minimisation des faits, à des propos culpabilisants ou au classement rapide de leur dossier. Beaucoup abandonnent, faute de confiance dans une institution perçue comme indifférente, voire hostile.
Cette situation est encore plus préoccupante pour les femmes racisées, migrantes, ou sans statut légal, qui risquent représailles ou expulsion en cas de contact avec la police. Louanger l’institution dans ce contexte revient à invisibiliser ces expériences et à renforcer une vision idéalisée, en décalage complet avec le vécu des victimes.
La situation se complique encore lorsque l’initiative socialiste bénéficie du soutien de certain·es politiques de droite et d’extrême droite, dont celui de la vice-présidente de l’UDC Céline Amaudruz qui, au sujet de l’initiative, a déclaré qu’elle pourrait soutenir tout projet visant à renforcer la sécurité des femmes et à lutter contre les féminicides, en insistant sur la surveillance active des suspects via des bracelets électroniques. Ce type d’approche sécuritaire pose évidemment problème: confier la protection des victimes à une police et à une justice déjà sexistes et racistes risque de reproduire les échecs structurels observés depuis des années.
Si le projet d’initiative socialiste a le mérite de poser la violence patriarcale comme un enjeu structurel nécessitant une action urgente de la part de la Confédération, son impact réel dépendra de la forme qu’il prendra concrètement. Pour être véritablement efficace, la lutte contre la violence patriarcale doit s’appuyer sur des organismes réellement accessibles et dignes de confiance, et non se limiter à un renforcement des institutions et dispositifs sécuritaires qui risqueraient de reproduire les mêmes violences qu’ils prétendent combattre.
Notes