Putain, c’est la merde!
Pourquoi tu dis ça?
Chez moi, c’est la misère!
Ah ouais, t’as trop raison
Ici, c’est la galère!
Reprends du champagne, man
De toute façon, ce week-end, on se barre sur la Côte1>Refrain extrait du morceau «De pauvres riches» du groupe TTC (2002).
Dans un récent article de presse, l’économiste Marius Brülhart expliquait que le montant annuel des héritages en Suisse allait très probablement franchir le seuil symbolique des 100 milliards de francs en 2025. Ce montant représente un quadruplement au cours des trente dernières années. Il s’inscrit dans un mouvement massif et mondial de transfert de patrimoine de la génération dite des «baby-boomers» (nés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale) aux générations suivantes. Au cours des prochaines décennies, on estime ainsi que plus de 80’000 milliards de dollars vont changer de mains du fait des évolutions démographiques.
Compte tenu, notamment, de la faiblesse des droits de succession et grâce aux outils et stratégies d’optimisation fiscale, cette «grande transmission de richesse» (great wealth transfer) contribue non seulement à concentrer un peu plus les richesses mais entraîne aussi un accroissement de la part d’héritiers parmi les 1%. L’ONG Oxfam note ainsi que 36% des richesses des milliardaires provient d’un héritage. Citant une étude publiée dans Forbes, l’ONG constate également que l’ensemble des milliardaires de moins de 30 ans ont hérité leur fortune.
Cette transmission massive de richesse s’accompagne d’un autre phénomène; un phénomène moins visible et documenté mais tout aussi significatif: un transfert de responsabilité quant à la crise climatique. Car les 80’000 milliards de dollars ne sont pas dissimulés sous des matelas ni gardés dans des bas de laine. Ils prennent très souvent la forme de placements et d’investissements dans des actifs (financiers, immobiliers…) qui aggravent la crise climatique; ce que les chercheurs Jeff Colgan, Jessica Green et Thomas Hale appellent des actifs «forceurs» de climat. Qu’il s’agisse d’actions chez Total ou de parts dans un mégaprojet immobilier à Dubaï, et telle une patate chaude à très forte teneur en gaz à effet de serre, les parents ne refourguent pas que leur fortune à leurs enfants mais aussi leur part de responsabilité dans la crise climatique en cours.
Plusieurs fils et filles à maman et papa ont pris conscience de l’empreinte carbone désastreuse de la fortune qu’ils héritent. Chez certain·es, c’est d’ailleurs une source de mal-être et de tensions intra-familiales. Les Next gens (terme employé pour qualifier cette nouvelle génération) n’échappent pas à l’anxiété climatique. Mais, et à la différence de monsieur ou madame Tout-le-Monde, leur anxiété est nourrie, façonnée, voire contrainte, par leur extrême richesse et ses conséquences.
Placements durables, investissements à «impact», philanthropie… Ils forment un marché captif pour experts, conseillers et coachs en tous genres. Aux traditionnelles banques privées, family offices et conseillers en gestion de patrimoine qui, à l’image de Lombard Odier ou d’UBS, se dépeignent désormais en champions de la transition bas carbone, s’ajoutent une ribambelle de groupes de soutien mutuels, de life coaches et de gourous spécialisés dans la méditation de «pleine conscience». Entre Next gens engagés (et angoissés), on aime, le temps d’un week-end, à se retrouver dans un chalet cossu des Grisons pour parler «investissements verts», méditer, faire du yoga et se réconforter.
On touche là aux limites de l’engagement des Next gens soucieux du climat. Iels ont conscience des enjeux et de l’impact climatique de leurs fortunes. Iels assument (à la différence de leurs parents) leur responsabilité et appellent à une forme de rupture avec le business as usual. Mais dès qu’il s’agit de traduire leurs paroles en actes, iels finissent invariablement par s’entourer des mêmes personnes et à promouvoir des stratégies et solutions qui, sous couvert de lutte contre les dérèglements climatiques, ne font que consolider leur pouvoir et leurs privilèges (et ceux des conseillers, banquiers et autres courtisans qui leurs gravitent autour). En bref, iels n’arrivent pas à pleinement rompre avec ce qu’iels sont.
Ayons pitié des riches héritières et héritiers. Libérons-les du fardeau de l’extrême richesse et des gigatonnes de gaz à effet de serre qui lui sont associés. Taxons massivement leurs héritages et leurs fortunes et réinvestissons les sommes récoltées dans des projets qui, plutôt que simplement flatter leurs égos et atténuer leurs angoisses existentielles, décarbonent vraiment nos sociétés et les rendent plus justes.
Notes