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La prise en charge sur mesure du diabète juvénile mise à mal par les assurances

A votre santé!

Le nombre d’enfants diabétiques augmente chaque année depuis au moins vingt ans. Si cette maladie chronique était vraiment rare dans les années 1980, elle touche aujourd’hui environ 3000 enfants en Suisse, dont quelque 300 pour le seul canton de Vaud. De plus, le diagnostic qui s’établissait historiquement plutôt après l’âge de 10 ans est découvert à présent chez de tout jeunes enfants, ce qui complexifie la prise en charge.

Les diabétologues avancent à juste titre que l’enfant diabétique doit pouvoir vivre une vie comme les autres, il n’empêche que lorsque le diabète survient dans la vie d’un·e enfant ou d’un·e adolescent·e et de sa famille, leur existence s’en trouve bouleversée. En l’espace de quelques jours, l’enfant ou l’adolescent·e doit apprendre, avec ses parents, à entrer dans une nouvelle vie, avec son lot de difficultés, souffrances et frustrations. En effet, il ou elle doit faire face à un traitement qui entrave sa vie quotidienne. Ses journées vont être rythmées par des contrôles sanguins, des injections ou le port d’une pompe à insuline, par le calcul des hydrates de carbone et des doses d’insuline à chaque repas. C’est l’entourage entier qui doit s’adapter d’un jour à l’autre.

Souvent, les deux parents travaillent, l’enfant va à l’école et fréquente aussi une unité d’accueil parascolaire (UAPE) pour ses repas de midi, quand il ou elle n’est pas en âge de fréquenter une crèche. A Lausanne, se sont ainsi près de 50 enfants scolarisé·es qui sont diabétiques, soit une moyenne de trois par établissement scolaire: on comprend que cela concerne toutes les écoles. Or l’accompagnement de ces enfants doit être fin et individualisé; il fait intervenir de nombreux acteurs adultes qui doivent s’accorder et bien comprendre le rôle de chacun.

J’assistais récemment à une réunion à l’école, à laquelle participaient les deux enseignantes, le doyen, l’infirmière en milieu scolaire (IMS) et celui ou celle délégué·e par la diabétologie pour effectuer le travail de liaison, une infirmière des soins à domicile (SIPED dans le canton de Vaud), des représentantes de l’UAPE (dont celle qui va chercher les enfants à l’école): soit près de dix personnes avec chacune des questions liées à son champ de compétences et à son interaction avec l’enfant. La mère ayant dû apprendre à gérer le diabète encore instable de son enfant avait donc face à elle près de dix interlocuteurs.

Cette situation, qui n’est pas inédite, montre combien il est important de se coordonner, mais aussi d’avoir une attitude homogène quant à la manière d’agir en cas d’hypoglycémie surtout – qui demande une intervention rapide – mais aussi en cas d’hyperglycémie – qui peut nécessiter de boire plus et peut entraîner des difficultés d’apprentissage.

Il est important que l’enfant et ses parents puissent faire confiance à ce réseau, d’autant que ses intervenant·es changent: l’infirmière scolaire n’est pas toujours présente, celle des soins à domicile varie en fonction des tournus… Sans parler des situations pas si rares – et heureusement d’ailleurs – où le rythme scolaire est «bouleversé» par une sortie scolaire, un camp, etc.

J’ai pu observer l’implication de tous ces acteurs qui cherchent à s’ajuster, à faire au mieux. Le dispositif mis en place parait solide: un accord écrit est établi pour le suivi individualisé. Et cela marche bien ­globalement.

Pourtant, ce dispositif est mis à mal par le fait que le nombre d’infirmier·ères mis à disposition du travail de suivi ambulatoire par la diabétologie du CHUV ne suit pas le nombre croissant d’enfants diabétiques – qui plus est de plus en plus jeunes – et peine à répondre aux demandes multiples du réseau. Il peut en résulter des incompréhensions et une rupture d’information, comme par exemple lors d’un changement de protocole.

Par-dessus tout, ce dispositif se heurte au refus unilatéral des caisses maladie de payer les interventions des infirmier·ères des soins à domicile à l’école ou au parascolaire (où les infirmières doivent régler et injecter des doses d’insuline, voire replacer l’accès sous-cutané d’une pompe à insuline), sous prétexte que «ces mesures peuvent être dispensées en dehors de la période scolaire dans le cadre privé». Il n’y a en effet «ni urgence, ni nécessité de devoir effectuer ces soins pendant l’encadrement scolaire», selon un courrier adressé mi-septembre par une assurance, arguant que «l’école est responsable des élèves pendant le temps scolaire, entre autre par des mesures appropriées aux besoins de santé des enfants et des jeunes». Cette assurance a donc annoncé qu’elle ne remboursait plus ce type de prestations à compter du 1er septembre.

Cette guerre d’argent qui met à mal un dispositif bien construit, affiné progressivement depuis des années, permettant une intégration adéquate des enfants diabétiques à l’école, montre une fois de plus l’absurdité de notre système de santé et l’arrogance d’une assurance LAMal qui prend une décision unilatérale immédiatement applicable et met en désarroi la famille et le réseau accompagnant l’enfant diabétique… à moins que les parents paient! – ce qui constitue un pas de plus vers une médecine à deux vitesses.
Reste à se demander, au fond, pourquoi le diabète juvénile n’est-il toujours pas ­considéré comme une invalidité?

* Pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle.

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