L’affaire du «bouclier fiscal», dans le canton de Vaud, n’a fait la une de la presse que pendant quelques jours. Or, elle est particulièrement significative. De quoi s’agit-il?
D’un scandale. Un vrai. Un «bouclier fiscal» est un dispositif visant à plafonner l’impôt et annihiler ainsi le principe de progressivité. En clair, l’un des nombreux outils qui permettent aux grands patrons et actionnaires de réduire fortement leur contribution au financement des services publics. Il s’agit donc d’une escroquerie, en soi. Les autorités vaudoises ont néanmoins réussi un exploit encore plus remarquable: ne pas appliquer la loi en vigueur, sciemment, pour que les possédant·es paient encore moins que ce qu’elle prescrivait… C’est le rapport de l’expert François Paychère, ancien président de la Cour des comptes à Genève, publié le 26 août, qui a révélé l’ampleur de ce scandale.
Le but du «bouclier fiscal», introduit en 2009, était que l’impôt cantonal et communal sur le revenu et sur la fortune ne dépassât pas, au total, le 60% du revenu. Pour déterminer ce dernier, la loi prévoyait la prise en compte d’un rendement minimum de la fortune de 1%, censé s’ajouter aux autres revenus (d’une activité lucrative, par exemple), Or, au lieu d’additionner les deux, conformément à la loi, les autorités appliquaient le principe suivant: soit le 1% de rendement minimum de la fortune, soit le revenu net effectif (après soustraction des multiples déductions dont bénéficient les privilégié·es!), pour calculer ensuite le 60% du «bouclier fiscal».
«L’ancien chef de l’ACI [l’Administration cantonale des impôts] avait imaginé la solution du bouclier et conçu le système, sans que le taxateur puisse avoir de prise sur le calcul», souligne le rapport Paychère. Une note interne avait toutefois signalé, le 10 mars 2011 déjà, que le calcul appliqué par le logiciel de taxation n’était pas conforme à la loi. Lors d’une formation des taxateur·trices, le 16 mars 2011, la nécessité d’adapter la règle de calcul avait aussi été relevée. Bref, presque tout le personnel de l’ACI était au courant du problème! Pourtant, rien n’a été fait. En février 2015, cela a été signalé, de nouveau sans suite, à la nouvelle cheffe de l’ACI.
Rebelote en septembre 2018, lorsque le Tribunal fédéral a sommé Genève de corriger l’application de son «bouclier fiscal», ce qui a été fait deux mois plus tard. Du côté de Lausanne, il a fallu encore plus de trois ans pour s’exécuter…
Bref, les autorités vaudoises ont sous-taxé de manière illégale les possédant·es – durant treize années! – et ce, en étant parfaitement conscientes du fait que leur pratique était contraire à la loi. N’ayant pas peur des mots: cela s’apparente à une forme de fraude fiscale organisée.
La direction de l’ACI n’a évidemment pas agi de son propre chef. C’est le Conseil d’Etat qui porte la responsabilité de cette affaire, le chef du Département des Finances, Pascal Broulis, en premier lieu. Les dénégations de ce dernier, «connu de tous pour être informé du moindre bruissement dans son département» (Le Temps, 27 août 2025), ne font que rappeler, pour les passionné·es de cyclisme, les propos attribués à Richard Virenque, dopé «à l’insu de son plein gré»… «L’amour des lois», invoqué dans l’hymne vaudois, n’est manifestement pas sa tasse de thé.
Quoi qu’il en soit, une infime minorité de grands patrons et actionnaires a profité, abusivement, d’un cadeau fiscal de plusieurs centaines de millions de francs. Selon les années, les bénéficiaires du «bouclier fiscal» ne représentaient en effet qu’entre 0,22% et 0,77% de l’ensemble des contribuables. D’après le rapport Paychère, ce dispositif leur a permis d’économiser entre 40 et 86 millions d’impôts par année.
Pendant des lustres, une partie d’entre elleux a carrément été imposée… à zéro.
Est-ce que le Conseil d’Etat a décidé, au bout du compte, d’appliquer la loi? Presque… Enfin, il avait bien décidé de le faire, mais cela n’a pas duré: à la suite de l’intervention de ses mandants – les milieux patronaux –, il a changé la loi, avec l’aval du Grand Conseil… pour la conformer, sur l’essentiel, à sa pratique antérieure.
Pascal Broulis et consorts ont donc trouvé de dignes successeur·es. Iels poursuivent la politique de défiscalisation du Capital, en essayant de la faire payer, depuis la banquette arrière d’une limousine premium, aux salarié·es et usager·ères des services publics. Se mobiliser pour combattre cette politique relève dès lors d’une exigence démocratique et sociale!