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Y être et paraître

Fin du monde et petits fours

Des centaines de conférences, de panels et de table rondes (plus de 1000 selon les organisateurs) aux quatre coins de Manhattan. Pour les lève-tôt, des séances de yoga et des promenades méditatives matinales. Pour les couche-tard, des diners et soirées cocktails «invitation only» en ville ou dans les penthouses et townhouses de capital-risqueurs et entrepreneurs de la tech. Des projections de films «engagés». Des soirées concerts et notamment le Climate Jam au mythique Brooklyn Bowl. Des casquettes, des gourdes et autres goodies siglés «F*CK DOOM!» distribués à quelques happy few lors d’une fête organisée par une boite de comm’ «à mission».

Bienvenu·es à l’édition 2025 de Climate Week NYC (21-28 septembre), le rendez-vous annuel des acteurs de la transition bas carbone. Ministres, philanthropes, chef·fes d’entreprise, investisseur·euses, responsables RSE de multinationales, diplomates, communicant·es, élu·es, responsables d’ONG, artistes, scientifiques, consultant·es, journalistes… Climate Week NYC est un véritable Who’s Who des autoproclamés leaders de l’action climatique. Le temps d’une semaine fin septembre, ils se retrouvent tous·tes à New York pour parler, manger, boire, chanter et danser «climat».

Climate Week c’est le summum de l’entre-soi climatique. C’est le rendez-vous incontournable pour toutes celles et tous ceux pour qui la lutte contre les dérèglements climatiques n’est pas seulement un engagement éthique mais un choix de carrière. Pour les milliers de professionnels de la transition qui se rendent religieusement à New York chaque année, c’est aussi (et peut-être surtout) l’occasion d’entretenir ses relations et d’étoffer son carnet d’adresses, de trouver des nouveaux clients, et de récolter des fonds en flattant l’ego d’une richissime femme d’affaires ou d’un jeune héritier en quête de sens. En bref, de se vendre.

C’est pourquoi pour de nombreux participants, il ne s’agit pas seulement d’être là. Il faut que ça se sache. Les vidéos, photos et textes siglés du hashtag #ClimateWeekNYC abondent sur les réseaux sociaux. On partage ses temps forts (highlights) sur LinkedIn ou Instagram: rendez-vous de travail avec X, intervention à la table ronde de Y, déjeuner d’affaires avec Z. ChatGPT aidant, on partage son analyse sur le «contexte géopolitique difficile» et l’importance de tels rassemblements pour entretenir le momentum et réaliser les objectifs de l’Accord de Paris. Le name dropping est de mise. On partage et on «like» les publications d’autres «leaders climatiques» (surtout lorsqu’elles nous concernent). On ajoute un commentaire élogieux. On espère qu’iels nous rendront la pareille. On montre qu’on est quelqu’un·e en publiant des selfies retouchés (on adooooore le filtre «intense» sur l’Iphone 17) avec Bill McKibben, Al Gore, et l’acteur Mark Ruffalo. Les sourires sont éclatants. Les yeux pétillants. Pour exister et être respecté à Climate Week, il faut que ça transpire la connivence.

Il y a quelque chose de pourri et de malsain au royaume de Climate Week. Ce rassemblement incarne un mouvement climat de plus en plus professionnalisé où la frontière entre avancement de carrière et engagement militant tend à s’estomper (ce que Matthew Huber, dans son ouvrage Climate Change as Class War appelle le «carriérisme climatique»1> versobooks.com/en-gb/products/775-climate-change-as-class-war ). Qui plus est, Climate Week renvoie l’image d’un mouvement climat majoritairement blanc, du Nord, propre sur lui et élitiste. Avec ses codes, ses manières d’être et ses bonnes manières. Ses non-dits. Enfin, il renvoie l’image d’un mouvement climat hors sol et déconnecté du réel; un mouvement volontairement aveugle et sourd face au génocide en cours à Gaza, aux inégalités sociales grandissantes, aux désirs de justice…

Comme le résume une ancienne participante, «de très nombreux intervenants à Climate Week sont américains, britanniques, ou éduqués dans leurs institutions, [ils] viennent de nations qui s’enfoncent dans l’autoritarisme. Dans la surveillance, la répression, la réduction au silence. Et ils n’en parlent pas. Ils ne parlent pas d’empire. Ils ne parlent pas de guerre.» Ils n’évoquent jamais le fait que «ceux qui meurent ne sont jamais ceux qui parlent». Ils ne prononcent pas les mots «Palestine», «Papouasie (Nouvelle Guinée)» ou «Puerto Rico»2> linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7348539455537897472.

Edouard Morena est maître de conférence en sciences politiques à la University of London Institute in Paris (ULIP).

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