Un ancien président condamné pour association de malfaiteurs. Du jamais-vu en Occident. La justice française a tranché hier matin. Nicolas Sarkozy a bel et bien manigancé avec Mouammar Kadhafi en vue de financer sa campagne électorale de 2007 à la présidence. Alors que le despote libyen était ostracisé sur la scène internationale, notamment en raison de son rôle dans l’attentat de l’avion de ligne DC-10 de la compagnie UTA, Nicolas Sarkozy a activement œuvré à sa réhabilitation en échange d’une grosse somme d’argent.
Si la matérialisation par Nicolas Sarkozy lui-même de ce pacte de corruption n’a pas pu être établie, faute de preuves suffisantes selon les juges, l’intention de mener cette transaction, elle, est prouvée. Ce qui explique qu’il ait pu être condamné pour association de malfaiteurs mais pas pour corruption. Ce chef d’accusation là en revanche a été retenu contre Claude Guéant, homme-orchestre de la campagne, puis secrétaire général de l’Elysée. Ce qui pose une question: Guéant aurait-il pu utiliser l’argent de Kadhafi pour faire élire Sarkozy sans que ce dernier ne soit au courant? La justice a laissé le bénéfice du doute, mais l’invraisemblance d’une telle éventualité et les quelque 170 articles que Mediapart a consacrés à cette affaire jettent une lumière crue sur le rôle de l’ancien président.
S’il faut saluer l’indépendance de la justice, cette affaire interroge sur la nature de la démocratie française, et au-delà, sur celle des régimes représentatifs. Quelle valeur donner au vote populaire si les sommes qui alimentent les campagnes semblent parfois aux yeux des gouvernants si déterminantes dans les résultats des élections, au point d’aller jusqu’à se compromettre avec une puissance étrangère infréquentable? Quelle caution donner au président Emmanuel Macron dont la campagne a été propulsée par des milliardaires – et qui leur fait d’immenses cadeaux une fois arrivé au pouvoir?
En Suisse, où le financement des batailles électorales et des votations reste particulièrement opaque malgré les avancées et où des dizaines de millions sont dépensés par le camp bourgeois pour influencer l’opinion publique, il faudrait oser affirmer que cet argent n’a aucune influence pour revendiquer à 100% la légitimité du vote populaire.
L’autre question est celle, cruciale, du rôle de l’indépendance de la presse dans nos démocraties. En France, elle s’est rétrécie comme peau de chagrin avec le rachat de la quasi-totalité des médias par une poignée d’ultrariches. La condamnation de Nicolas Sarkozy n’a été possible que grâce au travail d’un média d’investigation qui fait figure de quasi-exception, Mediapart. En Suisse aussi, la diversité et l’autonomie des journaux se sont réduites et les enquêtes pouvant jouer les rôles d’alertes et de garde-fous se raréfient. Il est temps que les collectivités publiques en prennent la mesure pour assurer que la liberté d’informer, essentielle à la démocratie, ne devienne pas uniquement formelle.