Un petit rappel en préambule: la cavité buccale contient naturellement des bactéries, qui adhèrent à la surface des dents, s’y multiplient rapidement et y forment une couche adhésive – la plaque dentaire. Les bactéries de la plaque peuvent rapidement transformer les sucres contenus dans les résidus d’aliments en acides. Ceux-ci s’attaquent à leur tour à l’émail des dents et le décalcifient. Quand cela se répète trop souvent, l’émail est détruit et une cavité se forme dans la dent: c’est la carie. D’où l’importance du brossage des dents dès le plus jeune âge. Bien sûr, dans «la vraie vie», les choses sont plus compliquées… Et par conséquent, l’amélioration de la santé buccale des enfants nécessite une approche multidisciplinaire.
Une des mesures les plus efficaces, reconnue par l’OMS, a été l’ajout de fluor, connu pour améliorer la solidité de l’émail dentaire, parfois dans l’eau du robinet ou, comme en Suisse depuis 1955, dans le sel de cuisine et depuis les années septante dans le dentifrice. Parallèlement, plusieurs cantons suisses ont formé des «prophylaxistes», qui passent dans les classes pour sensibiliser les enfants au brossage des dents ainsi qu’à une alimentation saine sans trop de sucres ajoutés. Ces mêmes cantons ont aussi organisé des dépistages dentaires gratuits, réalisés tout au long de la scolarité, qui donnent aux parents une indication professionnelle sur l’état de la dentition de leur enfant.
Grâce à ces mesures, les caries chez l’enfant au cours des cinquante dernières années ont beaucoup diminué globalement, mais des inégalités sont clairement apparues, liées à des déterminants socio-économiques. Selon des chiffres récents de la Ville de Lausanne, on observe toutefois depuis dix ans, année après année, une stabilisation du nombre de caries (avec une aggravation légère post-Covid): environ 60% des élèves dépistés à l’école primaire ont des dents saines, 20% des dents soignées et 20% des dents cariées (dont 2,5% avec de très multiples caries). Ainsi, les stratégies mises en place ne suffisent plus à améliorer la situation, alors qu’on est encore loin de l’objectif souhaité. Des études longitudinales tendent à montrer que plus tôt l’habitude des contrôles dentaires (et des traitements éventuels) est prise, meilleure sera la dentition permanente. Sans parler des complications médicales telles que des abcès, des douleurs et les problèmes alimentaires que des dents cariées peuvent entraîner.
Dans ce sens, il serait logique d’envisager sérieusement de rendre non seulement les dépistages et contrôles gratuits, mais aussi les traitements, au moins durant l’enfance. Du point de vue de la santé publique, il est d’ailleurs choquant que les dentistes s’y opposent. Car les coûts restent un obstacle réel pour un grand nombre de ménages. L’accompagnement des familles et les discussions autour de l’alimentation sont essentiels: c’est une tâche de tout·es les professionnel·les en lien avec les enfants, et pas seulement des dentistes. Cet accompagnement doit se faire avec empathie et sans jugement, en se rappelant que les changements comportementaux sont difficiles et lents: il faut aussi prendre en compte et comprendre les habitudes alimentaires familiales ou culturelles pour que les propositions faites puissent avoir du sens pour les jeunes patient·es et leurs parents. Enfin – et c’est un problème essentiel – reste l’accès facilité, tant vanté par la pub, à des repas ultra-transformés et prêts à l’emploi, souvent trop sucrés ou contenant des sucres cachés. Je pense par exemple à cette dernière pub d’une grande surface: «Deal p’tit déj: une boisson Red Bull et un croissant Ragusa.»
La prévention n’est pas qu’une question individuelle, elle est aussi collective. L’Etat devrait légiférer. La santé devrait primer sur la liberté de commerce. De très timides avancées se font autour des yoghourts, des céréales du matin et des boissons rafraichissantes qui seront moins sucrées… dans trois ans, selon une information parue il y a quelques semaines. A suivre.
Rappelons-nous enfin que la santé buccale est un bon marqueur de la santé globale.