Jusqu’où dissocier nationalité et citoyenneté? Alors que les étrangers et étrangères représentent près de 30% de la population en Suisse, la question mérite d’être posée. Dans le canton de Vaud, le peuple votera deux fois sur ce sujet cet automne: le 28 septembre, pour abaisser de dix à cinq ans la durée de résidence nécessaire avant de pouvoir voter et d’être élu·e au niveau communal; puis le 30 novembre, pour ouvrir ces droits au niveau cantonal.
Cela fait sens. S’enraciner dans un pays, c’est créer un lien d’intérêt durable avec la communauté nationale. En démocratie, on «décide de son destin»: celles et ceux qui lient le leur au nôtre ont vocation à partager son corollaire, la souveraineté. «La naturalisation d’abord!», rétorquent les opposant·es.
Pourtant, l’accès à la citoyenneté peut progresser par étapes, en cohérence avec notre Constitution: la Confédération la consacre par la naturalisation, mais les cantons peuvent en ouvrir les premiers paliers.
Le niveau communal, foyer de l’insertion économique et culturelle, dispose de prérogatives limitées: il constitue la première marche vers la citoyenneté. Le canton engage chacun dans des choix cruciaux (fiscalité, école, politique sociale ) qui touchent tout résident·e et, par principe démocratique, légitiment leur participation. Ce parcours affine l’acclimatation au pays, tandis que la communauté nationale fait siens celles et ceux qui le façonnent en commun.
La naturalisation devrait être l’aboutissement de ce parcours d’assimilation civique. Car exiger l’assimilation avant la citoyenneté, c’est renverser la logique même d’une intégration démocratique.
Encore faut-il que ce modèle fédéraliste vers l’égalité civique soit complet. Quand la part d’étrangers, souvent récents, était faible et qu’ils et elles étaient perçus comme temporaires, développer des droits civiques partiels a levé des tabous et dynamisé les naturalisations.
Aujourd’hui, la population étrangère se compte en millions, la majorité vit ici depuis longtemps, mais seule une minorité parmi elle vote et élit, et cela uniquement aux échelons inférieurs. En Romandie, cinq cantons sur six ouvrent des droits politiques communaux, parfois cantonaux; ailleurs, seules quelques communes alémaniques. Résultat: à la place d’une démocratie qui se renforce se dessine une carte où la citoyenneté est morcelée selon les cantons et les communes. Notre souveraineté si justement chérie s’affaiblit à mesure que s’élargit l’écart entre le peuple réel et le corps civique.
Un parcours de naturalisation complexe, long, coûteux et peu soutenu par une réelle politique d’intégration achève de noircir le tableau. Dire oui à ces droits partiels est nécessaire, mais ils n’ont de sens que s’ils ouvrent sur la naturalisation pleine, seule garante d’une souveraineté populaire digne de ce nom.