Skip to content

Le Courrier L'essentiel, autrement

Je m'abonne

Tout peut changer

Face aux échéances écologiques, Miguel D. Norambuena suggère des pistes pour se «détourner de notre compulsion prédatrice» consistant à consommer toujours plus.
Réflexion

«Tout peut changer.» C’est un titre emprunté à Naomi Klein (2014), qui s’est emparée très tôt des questions de réchauffement climatique. Naomi Klein lie celui-ci tantôt à l’extractivisme, l’une des caractéristiques du capitalisme néolibéral, tantôt à la privatisation, la déréglementation et la réduction des dépenses publiques. Dans le Chili des années 1970, la dictature de Pinochet a été l’un des laboratoires privilégiés du capitalisme néolibéral, mis en place par les «Chicago Boys». En 2025, il est loin d’être le seul!

Aujourd’hui, les écrits, les conférences, les films, les séminaires et les manifestations publiques qui dénoncent le réchauffement climatique et l’extractivisme sont innombrables. Cette abondance de données remplit des rayons entiers des librairies et inonde les réseaux sociaux. Elle témoigne également du remarquable manque d’initiative de la société civile comme des gouvernements et des décideurs politiques. Elle révèle enfin l’impuissance des Etats face à la financiarisation de l’économie.

Il suffit de prêter attention à la publicité dans les journaux ou à la télévision pour s’en rendre compte. La publicité, par exemple, va à l’encontre des acquis éthiques et sociaux de ces trente dernières années, comme l’émancipation des femmes en continuant de promouvoir la femme-objet, ou comme la lutte contre le machisme en mettant en avant une image positive de l’homme viril. La publicité promeut constamment la voiture, cette icône de la liberté consumériste (N. Fraser, 2025), associée à des thèmes idylliques tels que l’amour, la famille, les enfants, le bonheur et la liberté. Cette publicité vise à ce que tout le monde puisse rêver, s’identifier, et surtout consommer à crédit. Et cela fonctionne, que l’on soit de gauche ou de droite. Une «‘consommation pour la consommation’, pilier de la théorie économique libérale, qui ne mentionne jamais les limites planétaires» (T. Parrique, 2022), qui est foncièrement aveugle à l’état d’extinction des ressources environnementales et à l’état catastrophique du biotope et des ressources naturelles d’un pays.

Oui, tout peut changer, mais pour cela, nous devons prendre en main notre expérience quotidienne, nos habitudes, afin de détourner notre compulsion prédatrice induite par le crédo illibéral de la croissance: produire toujours plus de biens, peu importe lesquels, pourvu que cela rapporte.

Oui, tout peut changer si nous parvenons à sentir, à penser et à agir au présent, en associant les êtres humains et non-humains. L’agir reste notre grande difficulté. Cela nous réclame de nous libérer de nos auto-répressions au nom d’un ordre établi supposé bon pour tout le monde. Cette auto-répression du désir est profondément intériorisée et nous empêche d’agir de façon créative (F. Guattari et G. Deleuze, 1973; 1980). Dès lors, «la sobriété n’est pas l’excès ni l’ascèse, mais la proposition de sortir du capitalisme addictif» (N. Sarthou-Lajus, 2025). Cette proposition nous invite à réévaluer nos consommations matérielles et immatérielles quotidiennes afin de donner à notre existence journalière d’autres raisons d’être, en dehors de la «consommation pour la consommation», devenue le mode d’apaisement de notre anxiété et de notre vide existentiel. Il suffit de voir comment le monde numérique est en train «de se substituer à nos vies» (A. Lebrun, 2025).

Oui, tout peut changer, mais pour cela, il nous faut rendre visible, ici et maintenant, ce que nous ne voyons plus par habitude. Il s’agit de créer, au présent, des alliances transformatrices impensées et joyeuses entre humains et non-humains, partout où c’est possible. En d’autres termes, il s’agit de «créer, une poétique de l’habiter, une poétique expérimentale et en plein air, des corps pluriels» (V. Despret, 2018).

Oui, tout peut changer, si l’on arrive à «transformer la cacophonie actuelle en un projet de transformation sociale» (N. Fraser, 2025). Pour cela, il faut oser passer à l’action: prendre la pelle et la pioche, oser remuer la terre là où il y en a encore, oser planter des semences, même dans les lieux les plus improbables de la ville: une possibilité pour «bien vivre et bien mourir avec respons(h)abilité», au cœur des «ruines» (D. Haraway 2020; A. Tsing, 2017).

* Consultant psychosocial, ancien directeur du centre Le Racard et fondateur du Dracar à Genève.