Le Conseil fédéral n’a pas été plus brillant dans le dossier des F-35 et leur surcoût qu’il l’a été dans le dossier des taxes douanières de Trump. En fait, il a même été plus lamentable encore (et il fallait le faire): il s’écrase devant les Américains et assure qu’il paiera entre 650 millions et 1,3 milliard de francs de surcoût pour l’achat des avions de combat (il s’accroche à l’achat de cet avion et refuse de le remettre en cause), alors qu’il affirmait depuis des mois que le prix négocié avec le constructeur américain (6 milliards) était un prix fixe. Résumé des courses: les exportateurs suisses paieront 39% de taxes douanière aux USA, et l’importateur suisse (la Confédération elle-même) d’avions de combat américains paiera 25% de plus que ce qui avait négocié. Parce qu’un prix fixe, c’est le prix fixé par les Américains, pas le prix que les Suisses croyaient avoir négocié, et que la raison du plus fort est toujours la meilleure, et que le plus fort, c’est l’avionneur américain – et derrière lui, il y a le gouvernement américain.
En 2020, lors de la votation sur cet achat, l’alors conseillère fédérale Viola Amherd avait assuré que la Suisse ne paierait pas un franc de plus que prévu par le contrat d’achat, pour un prix qu’elle présentait comme un prix fixe (son successeur, Martin Pfister, l’avait lui-même affirmé, avant de soupirer que comme on n’est pas les plus forts, faut s’écraser)… Viola Amherd avait pourtant été avertie par le Contrôle fédéral des finances que le «prix fixe» n’était qu’une illusion… elle a dû finalement s’en rendre compte, puisqu’elle a démissionné de son mandat avant que l’achat des F-35 devienne une «affaire», puis un scandale – l’un de ses lointains prédécesseurs, Paul Chaudet, lui, avait attendu que le «scandale des Mirages» éclate pour démissionner; comme quoi, on apprend quand même quelque chose de l’histoire…
Le Département fédéral de la défense et la ministre elle-même ont tout fait, d’abord pour que la Suisse achète un nouvel avion de combat alors qu’on pouvait douter, et qu’on doute encore, que cela soit nécessaire, ensuite pour qu’on achète des F-35 américains (quitte à bidouiller les évaluations pour que ce soit cet avion qui soit choisi), enfin pour faire croire que le prix négocié avec l’avionneur, Lockheed Martin, était un prix fixe, qui ne saurait grossir de quelque surcoût: cet argument, qui s’est révélé d’une fausseté absolue, a sans doute été déterminant en 2022 pour convaincre d’abord les commissions de politique de sécurité des Chambres, puis le parlement, d’approuver l’acquisition des F-35 et empêcher que le peuple se prononce sur ce choix (il n’a été consulté que sur le montant de l’achat, qu’il n’a approuvé d’un cheveu, à 50,1%, justement parce que le Conseil fédéral lui avait assuré que le prix des gros-navions de combat était un prix fixe).
Et puis patatras! Le 14 août, le Conseil fédéral admettait ce qu’il savait déjà depuis 2022 et que le Contrôle fédéral des finances lui avait déjà confirmé: qu’il n’y avait pas de «prix fixe» qui tienne et qu’on ne pourra éviter de payer entre 650 millions et 1,3 milliard de plus que prévu (sauf à acheter moins d’avions que décidé, ou de renoncer carrément à acheter ceux-là). En attendant sans doute qu’on nous annonce que le surcoût sera encore plus gros que celui auquel on s’est résigné. Au passage, on a appris que tout pays qui veut acheter du matériel militaire auprès d’une entreprise étasunienne doit en obtenir l’autorisation du gouvernement des USA. Et que le droit étasunien interdit à l’Etat fédéral d’enregistrer une perte dans une transaction portant sur du matériel militaire, et impose que tout surcoût soit répercuté sur le prix de vente du matériel vendu, sauf si ce surcoût est imputable au gouvernement américain – et comme ce n’est pas le cas s’agissant des F-35, faut payer… ou renoncer à l’achat.
Alors, déjà que le choix du F-35 est entaché de fortes suspicions de manipulations dans l’évaluation des différents appareils et avionneurs en concurrence, apprendre qu’il pourrait coûter jusqu’à 25% de plus que ce qui a été voté par le parlement devrait précisément convaincre de renoncer à cet achat. Mais le Conseil fédéral ne veut pas y renoncer. Il préférerait acheter moins d’avions (mais toujours des F-35…) ou demander un crédit complémentaire au parlement. S’écraser, c’est un métier. La Suisse s’est pris 39% de droits de douane américains et 25% de surcoûts de l’achat d’avions de combat américains, mais ça ne lui suffit pas: Mieux – ou pire: le conseiller fédéral Martin Pfister, ci-devant nouveau ministre de la Défense, se déclare prêt à signer de nouveaux contrats avec eux. En leur disant merci, bravo, vous êtes grands, vous êtes forts, vous êtes les meilleurs.
Y’a pas à dire, on est bien gouvernés. Par Trump.