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Un aveuglement préoccupant

Christian Brunier estime que le nouveau collisionneur du CERN est un projet déraisonnable face à l’urgence climatique.
Science

Le projet de nouveau collisionneur géant envisagé par le CERN, baptisé FCC (Future Circular Collider), suscite de nombreuses interrogations, et à juste titre. Présenté comme une avancée majeure pour percer les mystères de la matière et de l’univers, ce monstre technologique, long de 91 kilomètres et enfoui sous la frontière franco-suisse, soulève de vives critiques sur les plans écologique, économique et éthique. A l’heure où l’humanité fait face à une crise climatique sans précédent, peut-on réellement légitimer un projet aussi dispendieux en ressources et en énergie?

Le FCC, s’il voit le jour, devrait consommer, en électricité, entre 1,1 et 1,8 térawattheures par an, soit environ la consommation d’une ville moyenne comme Reims, Grenoble, Lausanne ou Berne. Cette consommation est équivalente à 10 fois celle du Grand collisionneur de hadrons, accélérateur de particules mis en fonction en 2008 au CERN. Un tel usage de l’énergie, dans un contexte de transition écologique et de réduction impérative des émissions de gaz à effet de serre, semble tout simplement irresponsable.

Sur le plan financier, on évoque la valse des milliards. Pour le coût total (investissement + exploitation), les estimations varient de 15 à 80 milliards de francs suisses. Ce flou financier est à l’image de l’opacité et l’imprévisibilité des chiffres publics sur l’élaboration de ce méga et périlleux projet. Cet investissement massif dans une recherche fondamentale, dont les retombées pratiques pour la société restent hypothétiques à court et moyen terme, soulève une question de priorités. Que penser d’un monde capable de mobiliser autant de moyens pour observer des particules subatomiques, alors que des millions de personnes vivent dans la précarité énergétique, alimentaire ou sanitaire? L’enjeu n’est pas de nier l’importance de la recherche scientifique, mais bien de l’inscrire dans une hiérarchie des urgences cohérente avec les défis contemporains.

Le projet du FCC incarne une certaine vision du progrès. Celle d’une science qui avance pour elle-même, coupée des réalités sociales et écologiques. A l’heure où des scientifiques du monde entier tirent la sonnette d’alarme sur les limites planétaires franchies, persister dans des projets mastodontes aux externalités environnementales et financières gigantesques relève d’un aveuglement préoccupant. Il ne s’agit plus seulement de produire du savoir, mais de le faire avec responsabilité, dans le respect des limites que nous impose la planète.
La science doit se réinventer. Plutôt que d’investir dans des infrastructures énergivores, ne faudrait-il pas prioriser les recherches tournées vers la sobriété, la résilience, la justice climatique ou encore les énergies renouvelables? Les ressources publiques sont limitées, et leur allocation doit répondre à un impératif éthique, autant qu’à une logique d’efficacité financière, sociale et environnementale. Il est temps de penser une science plus sobre, plus humaine et véritablement au service du vivant.

Christian Brunier,
ancien député,
Genève