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La Belgique dans l’aride Arizona

Entrés en résistance active contre le nouveau gouvernement fédéral «Arizona» – coalition emmenée par les nationalistes flamands – depuis le début d’année, les syndicats belges maintiennent une pression constante. Dernière mobilisation en date: 35 000 personnes ont défilé dans les rues de Bruxelles le 25 juin dernier.
Offensives néolibérales

L’affaire commence en juin 2024 lors des élections fédérales. La droite nationaliste flamande (N-VA) sauve les meubles face à l’extrême droite indépendantiste Vlaams Belang, et la gauche francophone subit une défaite tant inattendue que funeste. La stratégie sarkozyste du Mouvement réformateur (MR, droite francophone) porte ses fruits. Elle est simple: aucun parti d’extrême droite n’est implanté de ce côté-là de la frontière linguistique.

En réutilisant certains éléments matriciels de celle-ci (sécuritaires et antiwokistes), les gains électoraux hypothétiques de cette extrême droite reviendraient au grand parti de droite. Son petit frère conservateur, Les Engagés, parvient à doubler son score (20% en Wallonie) en grande partie grâce à une opération de rebranding réussi (du Parti social-chrétien à un nom vide), et à une implantation traditionnelle dans le mouvement ouvrier chrétien.

Cette contingence permet à la Wallonie de se doter rapidement d’un gouvernement de droite majoritaire. En l’espace de quelques mois, cette majorité régionale coalise une opposition contre elle. Certaines mesures sont clairement impopulaires, comme la baisse de 60% des primes à la rénovation, créant un ralentissement économique flagrant. Mais c’est dans le secteur de l’enseignement que les grèves commencent à se multiplier, notamment en raison de la fin programmée des nominations, et donc du statut de fonctionnaire.

Au fédéral, les choses prennent plus de temps. Le chef de la N-VA De Wever est chargé de construire une coalition, mais les discussions grippent pendant des mois. Début 2025 et après des hésitations de toute part, la coalition prévue dès le départ parvient à un accord. Elle se compose des partis chrétiens, de la N-VA, du MR… et des sociaux-démocrates flamands (Vooruit). Ce sera la première fois que la Belgique aura un indépendantiste à sa tête, et ce gouvernement marquera le grand retour de la N-VA aux affaires depuis son départ tonitruant du gouvernement fédéral de 2018 en raison du pacte des migrations de l’ONU (voyez le niveau…). Ses éléments les plus radicaux y seront intégrés, à l’image de Theo Francken à la Défense, connu pour son inhumanité lorsqu’il était chargé des Migrations entre 2014 et 2018 ainsi que pour sa proximité avec certaines figures de l’extrême droite.

Des réformes douloureuses

En parallèle, lorsque l’Union européenne (UE) révise ses règles budgétaires début 2024, elle notifie la Belgique de son statut de mauvais élève. En été de la même année, elle ouvre contre la Belgique (et cinq autres pays) une procédure de déficit excessif, en publiant une trajectoire de référence pleine de saignées; l’effort demandé se monte à 21 milliards d’euros en sept ans. Cela représenterait le plus grand effort pour la Belgique depuis 1990 et la convergence vers la monnaie unique.

La Belgique est un des rares pays à ne pas s’être débarrassé radicalement des institutions de sécurité sociale à la fin du XXe siècle. Pour le patronat belge, cela ne fait aucun sens, et même si, sous les participations gouvernementales du Parti socialiste, certaines contre-réformes ont été adoptées, il faudrait beaucoup plus «dégraisser le mammouth». Le MR est d’accord, et le N-VA encore plus. Dans son discours nationaliste, les francophones profitent de l’Etat fédéral, sont des fainéant·es et doivent être mis·es au travail. Cela tomberait d’ailleurs à point nommé. Le dynamisme économique du nord du pays marqué par ses ports et donc son intégration au commerce international requiert de la main-d’œuvre en masse. Le N-VA serait soulagé si ces travailleur·euses bon marché pouvaient être recruté·es localement, pour maintenir sans peine sa politique sécuritaire anti-migratoire.

Le droit au chômage est donc devenu la cible parfaite du gouvernement. Elle permet d’affaiblir les syndicats qui gardent un rôle central dans la distribution de ces prestations et permettent de répondre aux injonctions européennes en matière budgétaire. Si le gouvernement parvient à ses fins, les chômeuse·eurs perdront en moyenne 200 euros par mois. D’autres seront radié·es et dans l’obligation, pour ne pas finir à la rue, d’aller au centre public d’action sociale de leur commune (CPAS). Le syndicat socialiste FGTB estime déjà le nombre de personnes concernées par ces radiations à 125 000. Inutile de dire que les communes n’auront pas les moyens d’absorber le choc, si celles-ci n’ont pas déjà été reprises aux mains des partis de droite qui agissent déjà localement pour affaiblir les CPAS.

Les communes de Bruxelles perdront 1,6 milliard à cause des politiques austéritaires du fédéral. Si encore la région Bruxelles-Capitale avait la capacité de les soutenir, nous pourrions rester optimistes. Mais cela fait plus d’un an qu’elle n’a toujours pas de gouvernement, et certains partis irresponsables veulent à tout prix y intégrer le N-VA au risque de s’embourber encore plus dans cette crise politique. Cela est d’autant plus incompréhensible que dans le parlement régional bruxellois, les nationalistes flamand·es n’ont que deux députés… sur huitante-neuf.

Paru dans Pages de gauche no 195, été 2025, pagesdegauche.ch