Skip to content

Le Courrier L'essentiel, autrement

Je m'abonne

Violence d’Etat et acharnement islamophobe

Ex-président de la mosquée de Pessac, à proximité de Bordeaux, Abdourahmane Ridouane a été condamné en mars 2025 à quatre mois de prison avec sursis pour «apologie du terrorisme». Assigné à résidence, il est dans l’attente d’une expulsion. «Une affaire révélatrice de l’islamophobie d’Etat», pour Rayan Ammon qui l’a rencontré. L’élu yverdonnois pointe un «recul des droits démocratiques» à travers l’Europe, y compris en Suisse.
Résidant en France depuis 1991, Abdourahmane Ridouane est poursuivi pour apologie du terrorisme et est visé en août 2024 par une mesure d’expulsion décidée par le ministre de l’Intérieur. RAYAN AMMON
France

Le président de la mosquée de Pessac subit depuis cinq ans un acharnement administratif islamophobe de la part de l’Etat français pour son engagement en faveur de la Palestine et des droits des personnes racisées.

Résidant en France depuis 1991, M. Ridouane est visé en août 2024 par une mesure d’expulsion décidée par le ministre de l’Intérieur. Il est placé en Centre de rétention administrative pendant 90 jours, faute de délivrance d’un laissez-passer par l’Etat du Niger. Le 30 octobre 2024, il est poursuivi pour apologie du terrorisme à cause d’une publication en soutien à la résistance palestinienne sur le réseau social X. L’Etat a notamment utilisé des «notes blanches» – documents administratifs non sourcés et non contestables – pour appuyer l’accusation.

Malgré un préavis négatif à son renvoi du territoire 1>rue89bordeaux.com/2024/06/avis-defavorable-a-lexpulsion-dabdourahmane-ridouane-le-president-de-la-mosquee-de-pessac/ et de nombreux témoignages en sa faveur, il est condamné en mars 2025 à quatre mois de prison avec sursis et à deux ans d’interdiction du territoire français. Il a fait appel: l’audience, prévue en juillet, a été reportée au 24 septembre 2025. S’il est condamné, il ne pourra jamais être régularisé, illustrant l’un des ressorts pervers du système judiciaire français, qui rend toute défense efficace illusoire. A ce jour, il reste actif et continue d’exprimer sa solidarité avec Gaza et son opposition au racisme. Assigné à résidence et sous contrôle judiciaire quotidien 2>www.gironde.gouv.fr/Actualites/Communiques-de-presse/Communiques-de-presse-2024/Novembre-2024/Le-President-de-la-Mosquee-de-Pessac-assigne-a-residence , il poursuit ses activités à la mosquée de Pessac, où nous avons eu l’occasion d’échanger avec lui le 23 juillet dernier.

«Il faut construire des plateformes internationales contre l’islamophobie pour éviter que mon cas ne se répète ailleurs», plaide M. Ridouane, tout en soulignant avec amertume: «C’est déjà incroyable que mon cas soit documenté depuis la Suisse!» Dans un climat très délétère, marqué par l’assassinat d’Aboubakar Cissé 3>Lire lecourrier.ch/2025/05/11/une-foule-contre-lislamophobie-dimanche-a-paris/ (ndlr) et le rapport sur les Frères musulmans 4>www.rts.ch/info/monde/2025/article/rapport-sur-les-freres-musulmans-en-france-macron-exige-des-mesures-28890885.html (ndlr) commandé par le gouvernement Macron, les violences racistes et les dissolutions d’organisations musulmanes se multiplient. La disparition du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) et de BarakaCity, deux structures [dissoutes par le gouvernement en 2020], pourtant ancrées dans le tissu associatif, en est un exemple criant. La France agit désormais comme un véritable laboratoire de l’islamophobie, dans un contexte de montée de l’extrême droite et de dérives sécuritaire. Le soutien à une personne dont les libertés fondamentales et les droits démocratiques sont remis en cause ne peut être conditionné à une vision unique et universelle du monde. Même en cas de désaccords politiques avec certaines prises de position ou références religieuses, rien ne saurait justifier leur marginalisation ou leur expulsion. Défendre les droits fondamentaux, c’est aussi reconnaître que les convictions, les récits ou les formes d’engagement diffèrent. Exiger l’adhésion préalable à une grille de lecture donnée revient à exclure encore davantage ceux que l’on prétend protéger. «Cela devrait alerter les pays où l’extrême droite gagne du terrain», prévient-il.

L’islamophobie en Suisse, une réalité.

Souvent minimisée, l’islamophobie en Suisse commence à être mieux documentée, tant par les milieux académiques que par les associations. En témoigne un rapport publié en mars 2025 sur le racisme antimusulman en Suisse 5>www.frb.admin.ch/fr/etudes-et-rapports . Pourtant, les droits des musulmanes et musulmans restent fragiles, entre hostilité de l’extrême droite et frilosité d’une certaine gauche à défendre la liberté religieuse et l’organisation de ces communautés.

Cela compromet leur participation à la vie démocratique et remet en cause leur statut de citoyen·ne autonome. Les votations contre les minarets (2009) ou la dissimulation du visage (2021) en témoignent. Plus récemment, le 20 juin 2025, la députée vaudoise PLR Jacqueline de Quattro a déposé un postulat6 6>www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20253914 inspiré du rapport français sur les Frères musulmans. Ce type d’initiative ciblée doit alerter sur les dérives possibles. Il est urgent de défendre les droits démocratiques fondamentaux, aujourd’hui rognés par des politiques racistes au nom de la lutte contre une menace invisible.

Rayan Ammon est conseiller communal Solidarité & Ecologie à Yverdon-les-Bains (VD) et militant antiraciste.