A moins de quatre mois de la conférence des Nations unies sur le climat (COP30) à Belém au Brésil, les principaux protagonistes s’affairent à distiller leurs éléments de langage. A longueur d’interviews, de discours et de conférences de presse, André Corrêa do Lago, le président de la COP30, et Ana Toni, sa directrice exécutive, insistent sur deux priorités: la relance du multilatéralisme climatique et la mise en œuvre tangible des objectifs fixés dans l’Accord de Paris. Fini les déclarations fracassantes, les belles paroles et les promesses non tenues. L’heure, nous assènent-iels, est à l’action, à l’humilité, au pragmatisme et au respect des engagements pris. En bref, et contrairement aux deux précédentes conférences à Bakou et à Dubaï, la COP de Belém, nous assurent-iels, sera celle de l’anti-bling-bling climatique.
Pour les organisateurs brésiliens, Belém, ville de 1,5 millions d’habitant·es aux portes de l’Amazonie et dont plus de la moitié de la population vit dans des favelas, incarne parfaitement cette nouvelle ère de multilatéralisme climatique1> www.brasildefato.com.br/2025/06/23/shortage-of-accommodations-and-high-costs-are-challenges-for-belem-five-months-before-cop30/. «A Belém, nous assure do Lago, vous découvrirez un pays et une ville en développement confrontés à d’importants problèmes d’infrastructures, avec encore, en termes relatifs, un pourcentage élevé de pauvreté. Le président Lula, poursuit-il, estime qu’il est essentiel de parler du climat, de penser aux forêts, à la pauvreté et au progrès»2> lactualite.com/actualites/la-cop30-se-tiendra-dans-lune-des-villes-les-plus-pauvres-du-bresil-et-cest-voulu/.
Contrairement aux précédentes conférences, la ville hôte de la COP30, nous assure-t-on, ne sera pas une vitrine officielle dont l’unique fonction serait de vanter les mérites et l’exemplarité du pays hôte en matière de lutte contre les changements climatiques. La nouvelle forme de «nation branding» climatique impulsée par le gouvernement brésilien se veut plus modeste, plus attentive et connectée aux enjeux du «monde réel» et à l’impact sur le terrain des politiques et actions en faveur du climat.
Qui dit meilleure prise sur le réel dit également valorisation et incorporation des véritables acteurs de la transition bas carbone. Faisant sienne le terme «mutirão» [mobilisation collective] issu des traditions autochtones locales, la présidence de la COP30 souhaite ouvrir encore plus le processus climatique onusien aux acteurs non- et sous-étatiques. Après s’être rendue tour à tour à Bonn (Allemagne) où se tenait une séance de négociations en vue de la COP30 (16-26 juin), et à Londres pour le London Climate Action Week (21-29 juin), grand-messe de «l’action climatique» centrée sur les acteurs privés et sous-étatiques, Ana Toni insiste ainsi sur le gouffre qui sépare les deux évènements. D’un côté des diplomates qui débâtent, des heures et des jours durant, de l’inclusion de tel ou tel mot dans le texte de négociation. De l’autre, des entreprises, des représentants de villes et de régions, et des investisseurs qui discutent de projets et de résultats concrets. A Londres, «vous avez l’impression que la vraie vie bouge!», s’extasie-t-elle3> www.youtube.com/watch?v=f6WzzxfrpD0.
Mais de quelle «vraie vie» parle-t-elle? Les faiseurs et faiseuses de transition tant vanté·es par Toni sont, peu ou prou, les mêmes autoproclamé·es «leaders» qui ont dominé le débat climatique international de ces vingt dernières années. Il suffit d’un rapide coup d’œil à la liste des partenaires et des «envoyés spéciaux pour le COP30» (censé·es faire le lien entre les gouvernements et le «monde réel») pour s’en convaincre. Michael Bloomberg, Nigel Topping, Laurence Tubiana, Jacinda Ardern, Jonathan Pershing, Patricia Espinosa… Autant de figures connues qui renvoient davantage à l’idée de continuité qu’à une quelconque rupture ou ouverture.
A y regarder de plus près, et contrairement à ce qui nous est vendu, le choix même de Belém en tant que ville hôte risque fort de renforcer ce statu quo et cet entre-soi. La présidence brésilienne a certes fait le choix d’une ville aux avant-postes de la crise climatique. Mais elle a aussi choisi (et en connaissance de cause) une ville aux infrastructures de transport et hôtelières inadéquates pour accueillir un méga-événement international. Ces derniers mois, les prix des hébergements ont flambé. Flambée des prix qui a pour principal effet d’exclure les mouvements sociaux, les délégué·es des pays du Sud (les plus vulnérables face à la crise climatique) et toutes celles et ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir un hôtel ou un Airbnb à 500 ou 600 euros la nuit.
Loin de régler le problème, l’affrètement de deux navires de croisière pour accroitre l’offre d’hébergement ne fait que renforcer le sentiment de décalage entre une «jet-set climatique» de passage qui a les moyens de se rendre aux COP et les populations et réalités locales4> www.climatechangenews.com/2025/07/18/brazil-offers-cop30-cruise-ship-rooms-and-cost-caps-but-negotiators-remain-unhappy/. Sommet mondial des maires (C40), Sommet sur l’investissement responsable (PRI) et Prix Earthshot récompensant les solutions innovantes pour résoudre la crise climatique… Ironiquement, et alors qu’ils auraient pu se rendre à Belém, plusieurs autoproclamés «champions» de l’action climatique ont tout bonnement choisi de délocaliser leurs activités en lien avec la COP à Sao Paolo ou à Rio de Janeiro. Pour la «jet-set climatique», la confrontation au réel, ce sera pour une autre fois!
On touche là au paradoxe de Belém. Sous couvert d’ancrage dans la «vraie vie» et d’ouverture sur les «véritables» acteurs du changement, on risque fort d’assister à une COP en trompe-l’œil; une COP des «happy few» plus exclusive et plus hors sol que jamais.
Notes