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Au-delà du 1er août

Loin d’être une enclave de paix rupestre neutre et isolée, la Suisse s’inscrit pleinement dans l’expansion coloniale et l’accumulation du capital qui en résulte. KEYSTONE
Fête nationale

Le 1er août, fête nationale des Suissesses et des Suisses. L’occasion de passer une bonne soirée, d’allumer quelques lampions et de manger une saucisse de veau. Tout un symbole.

Mais qui a aussi sa face cachée. L’image d’une Suisse indépendante, neutre, héritière des paysans au bras noueux et rétifs aux baillis des Habsbourg tient surtout du récit national. Rappelons que cette fête a été décrétée ex-nihilo en 1891 par les milieux bourgeois pour asseoir une unité nationale encore fragile et faire contrepoids à la montée du mouvement ouvrier.

Une autre histoire est possible. Nous publions en rubrique Suisse l’interview de l’historien Bernhard Schär, qui explique à quel point notre pays a été, au cours des siècles passés, fortement imbriqué dans le capitalisme en pleine expansion. La Suisse coloniale est une réalité encore peu connue, et pourtant tangible. Des acteurs helvétiques ont contribué à la traite des esclaves. Cette participation est évaluée à 2% de ce sinistre marché.

Loin d’être une enclave de paix rupestre neutre et isolée, la Suisse s’inscrit pleinement dans l’expansion coloniale et l’accumulation du capital qui en résulte. Jusque dans sa fabrication des savoirs qui servent l’impérialisme européen et le légitiment. Notamment via les théories racialistes, qui ont été véhiculées, voire élaborées dans nos universités.

Cette prise de conscience n’en est qu’à ses débuts. Mais elle est inéluctable. Un peu comme l’affaire des fonds en déshérence a obligé la Suisse à revisiter son attitude durant la Seconde Guerre mondiale. Elle permet de questionner le roman national servi à la population à grand coups de lampions et de feux de joie, tout en occultant la convergence des intérêts des nantis de la finance et de la grande industrie.

Y toucher, c’est ainsi s’exposer à la vindicte de l’extrême droite et de ses affidés dits centristes. Rappelons-nous la ridicule polémique autour de l’affiche genevoise du 1er août 2023, jugée «antipatriotique», du doigt d’honneur posté par une jeune socialiste valaisanne sur les réseaux sociaux ou de la colère qui s’était abattue sur le maire de Genève, Christian Ferrazino, au début des années 2000, lorsque celui-ci s’était aventuré à prononcer un discours pourtant policé, mais s’éloignant du folklore bien balisé de la fête nationale.

C’est peut-être que la vraie question n’est pas celle de l’image que la Suisse tente de donner d’elle-même, mais plutôt d’intérêts économiques bien compris qu’il s’agit de ne pas aller chatouiller.

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