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Dénis de réalité

Nicolas Rousseau sonde le traitement médiatique discutable de la situation à Gaza effectué par certains medias «très perméables à la propagande israélienne».
Gaza

Alors que la situation des Gazaoui·es se dégrade fortement, des gens voudraient encore la minimiser. Que le président d’Israël ose dire que son Etat respecte le droit humanitaire, rien d’étonnant, les dirigeants de ce pays ont toujours travesti les réalités qui les dérangent. Qu’une journaliste israélienne habituée des plateaux TV conteste que Tsahal tire sur des foules affamées, alors que des soldats israéliens l’ont eux-mêmes confirmé, rien de surprenant non plus, elle agit en propagandiste aux ordres. Mais que des spécialistes occidentaux participent de cette hasbara [propagande d’Etat israélienne], voilà qui est plus choquant.

Une famine à Gaza, comme l’affirment les ONG et l’ONU, preuves à l’appui? Un géopoliticien connu la relativise, le même qui en 2003 avait prétendu que Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive. Et loin d’être dû à Israël, cet affamement des Gazaoui·es serait surtout à imputer au Hamas, renchérit un autre spécialiste dans une émission télévisée, lequel ajoute que l’aide humanitaire profite surtout à cette organisation, ce que dément une enquête récente du New York Times. Le même personnage prétend aussi que si les ONG dénoncent la misère à Gaza, ce serait surtout pour préserver leurs intérêts. Et n’allez pas lui demander qu’il condamne l’instrumentalisation par Israël de groupes mafieux rackettant la population, une réalité désormais prouvée.

Finalement, concluent certains, il serait normal que les familles gazaouies quittent ce territoire où la vie est devenue impossible! Comme s’il fallait accepter le plan israélien de déportation de toute la population, clairement assumé par Netanyahou! Tout en admettant que cela heurte le droit international, ces mêmes commentateurs affirment qu’il faut s’habituer à ce monde où les rapports de force dominent. Ils ajoutent qu’Israël reste une démocratie, comme si cela excusait tout, comme si les démocrates anglais ou français n’avaient pas eux aussi mené des politiques coloniales très sanglantes!

De tels dénis de réalité expliquent la molle réaction des Occidentaux, qui de plus cèdent facilement au chantage d’Israël en assimilant toute critique de son action à de l’antisémitisme. Quant à Trump, se sent-il vraiment dépassé par l’hubrisisraélienne, comme le disent certains journalistes? Ils et elles oublient de rappeler que le projet de déportation des Gazaoui·es venait de lui et que, sans les armes dont il continue d’abreuver son proxy, le massacre cesserait vite.

Face à ces accommodements, il est logique qu’Israël agisse désormais de plus en plus en toute impunité, parachevant la destruction de Gaza pour y installer des colons, déclarant qu’il n’y aura jamais d’Etat palestinien, que les nations qui veulent le reconnaître, telle la France, encourageraient le terrorisme. Cet extrémisme pourrait envenimer la situation? Qu’importe! Netanyahou a toujours cherché à exacerber les fractions palestiniennes les plus radicales, pour dire ensuite qu’il ne trouve face à lui aucun interlocuteur raisonnable! Il sait que, martyrisés depuis près de deux ans, les Gazaoui·es croiront difficilement à ses pseudo-offres de paix.

A quand des mesures sérieuses contre cette politique? En son temps, l’ONU avait décidé un embargo contre le régime d’apartheid de Pretoria, à certains égards moins sanguinaire que celui de l’extrême-droite israélienne. Les crimes de guerre en ex-Yougoslavie avaient suscité des mandats d’arrêt contre les dirigeants impliqués. Et quand Kadhafi tyrannisait des civils, la communauté internationale avait invoqué contre lui le droit d’ingérence. Par ailleurs, plutôt que d’accepter une annexion de Gaza, pourquoi ne pas prévoir un plan de réinstallation de ses habitant·es financé par des fonds israéliens à confisquer, comme nos diplomates le souhaitent pour les avoirs russes gelés suite aux destructions en Ukraine?

Projets illusoires? Peut-être pour ceux qui, par lâcheté, par complaisance ou par peur de Trump, décident de se plier aux nouvelles réalités que veut imposer Israël. Mais qu’ils sachent qu’en couvrant la stratégie d’un Etat qui, pour s’étendre, ne recule plus devant rien, ils se préparent de tristes lendemains. Paraphrasons Churchill: pour éviter une guerre avec Netanyahou, ils choisissent le déshonneur de la violation du droit international; mais au final, ils retrouveront et le déshonneur quand seront enfin documentées les exactions israéliennes, et les guerres que générera fatalement une politique qui ne connaît plus que la violence pure.

Nicolas Rousseau est essayiste et écrivain, Boudry (NE).