Pourquoi ne parle-t-on jamais, ou trop rarement, de la dépendance du nucléaire suisse envers les dictatures du Kazakhstan et de la Russie? Alors que la transition énergétique et la souveraineté énergétique occupent de plus en plus l’espace médiatique et politique, un sujet demeure étonnamment discret: la dépen-dance stratégique de la Suisse en matière d’uranium, carburant de ses centrales nucléaires. Plus précisément, le fait que ce combustible provienne en grande partie de régimes autoritaires, comme ceux du Kazakhstan et de la Russie, devrait susciter un débat bien plus vif.
Les réacteurs nucléaires suisses encore en activité fournissent environ un tiers de l’électricité du pays. Pour fonctionner, ces installations ont besoin d’uranium enrichi; une ressource que la Suisse ne produit pas sur son territoire. Le pays importe donc l’uranium naturel, puis l’envoie à l’étranger pour l’enrichissement, avant de l’utiliser dans ses centrales. Ce processus passe largement par des circuits internationaux dominés par quelques pays producteurs, dont plusieurs ne brillent pas par leur respect des droits humains ou des standards démocratiques.
Selon plusieurs rapports internationaux, une part significative de l’uranium utilisé en Suisse provient du Kazakhstan, aujourd’hui l’un des plus grands producteurs mondiaux, et de la Russie, souvent via l’entreprise Rosatom. Ces pays, tous deux dirigés par des régimes autoritaires, sont régulièrement critiqués pour la répression de la dissidence, le musellement des médias indépendants et l’absence de réelles élections libres.
Malgré les sanctions européennes et la guerre en Ukraine, les exportations d’uranium russe continuent sans grande entrave. Là encore, cette dépendance pose question, à la fois d’un point de vue moral que géopolitique.
Face à ces réalités, certains rétorquent que la Suisse a entamé une diversification de ses sources d’approvisionnement. Il est vrai que des fournisseurs comme le Canada, l’Australie ou encore les États-Unis de Trump ont été sollicités. Cependant cette diversification reste partielle, et ne compense pas l’importance des livraisons issues des régimes autocratiques.
De plus, même dans le cas de pays démocratiques, la chaîne de traitement de l’uranium reste globalisée et opaque. Il est fréquent que l’uranium extrait dans un pays soit ensuite enrichi en Russie ou transformé dans des installations contrôlées par Rosatom, proche de Poutine.
Dans un pays comme la Suisse, où la neutralité et les valeurs démocratiques sont des piliers fondamentaux, il est impératif de questionner cette dépendance. Peut-on se satisfaire d’un approvisionnement énergétique qui entretient indirectement ces régimes?
Notre indépendance énergétique est, de surcroît, cruciale pour échapper au diktat de pays peu fréquentables et totalement imprévisibles. En menant une politique dynamique d’économies d’énergies – un filon trop peu utilisé – et de développement actif du renouvelable, nous pourrions pourtant nous passer de ces servitudes. Là est la clé de notre avenir énergétique.
Christian Brunier, ancien dirigeant d’une entreprise d’énergies,
Genève