La situation paraît abracadabrante. La justice suisse condamne des multinationales qui siègent sur son sol pour des agissements à l’étranger, souvent de corruption. Elle définit des amendes et des créances destinées à compenser les populations lésées. En août dernier, Glencore a été condamnée à payer 150 millions de dollars à titre de compensation, pour avoir fermé les yeux sur des pots-de-vin versés pour l’acquisition de droits miniers en RDC, en plus d’une amende de deux millions. Le jugement aurait dû être plus sévère selon Public Eye, qui estime que le manque à gagner pour la population locale avoisine plutôt le milliard de francs. Mais la décision est à saluer.
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Là où ça se corse, c’est que la population lésée du Congo risque de ne jamais voir la couleur des 150 millions qui lui reviennent pourtant de droit. Ils ont été versés dans les caisses de la Confédération «sans affectation particulière». En dix ans, 638 millions de francs ont atterri dans les caisses suisses, pour le même type de procédures, sans qu’aucun remboursement aux populations concernées n’ait eu lieu. Avec cette somme, on peut par exemple faire fonctionner le Ministère public de la Confédération pendant huit ans.
Pourquoi ces fonds destinés à des populations du Sud restent-ils en Suisse? Le Conseil fédéral se cache derrière un paravent légaliste pour justifier ces pratiques douteuses. La loi prévoit que si l’Etat étranger ne collabore pas à la procédure judiciaire, l’argent n’est pas restitué. Sauf que… l’Etat en question a rarement envie de collaborer vu que ce sont généralement ses représentants qui ont été soudoyés par les entreprises suisses. Et ni la majorité du parlement ni le Conseil fédéral ne sont décidés à changer les choses.
Une hypocrisie crasse! Les populations des pays concernés par ces détournements et autres magouilles, en RDC, en Côte d’Ivoire, en Guinée, vivent dans des conditions extrêmement vulnérables. Elles voient leurs ressources bradées à bas prix par leurs gouvernements au profit de multinationales voraces toutes puissantes. Ce serait le minimum que de leur octroyer ces réparations, dont les montants sont au demeurant probablement sous-estimés. Rien n’empêche la Confédération d’allouer ces sommes à des projets d’aide au développement dans les pays concernés plutôt que de les garder au bénéfice de la Suisse.
Elle le fait déjà lors de condamnations pour avoirs illicites de personnes politiquement exposées. En mai dernier, le Conseil fédéral annonçait l’inauguration de maternités modernisées en Ouzbékistan, pour réduire la mortalité materno-infantile. Ce projet de 43,5 millions de dollars mis en œuvre par l’ONU a été financé par les avoirs illicites de Gulnara Karimova, fille de l’ex-président ouzbek, confisqués par la justice helvétique. Il est temps d’élargir ces restitutions aux populations lorsque les multinationales sont épinglées par la justice.