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Présomption de majorité, selon les intérêts suisses

Les tests pour déterminer l’âge des requérant·es d’asile donnent des résultats peu fiables. Il n’empêche, la Suisse continue à y recourir. Malgré les conséquences sociales et juridiques entraînées liées aux erreurs d’évaluation. Eclairage.
Asile

En 2016, Michael1>Tous les prénoms cités sont des prénoms d’emprunt., alors âgé de 16 ans, dépose une demande d’asile en Suisse. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) conteste sa minorité et ordonne une expertise osseuse, dont les résultats le déclarent majeur. Sur la base du règlement Dublin III (qui ne s’applique qu’aux personnes majeures), le SEM demande alors à l’Italie, où Michael avait transité, de le reprendre en charge. Mais cette dernière refuse, car elle avait enregistré Michael comme mineur. Le SEM est alors contraint d’examiner lui-même sa demande d’asile. Malgré cela, toute la procédure se déroule sans lui accorder les protections spécifiques prévues pour les mineur∙es. Saisi du dossier, le Tribunal administratif fédéral (TAF) rappelle dans son arrêt que, pour les jeunes de 16 ans ou plus, une analyse osseuse ne constitue qu’un indice faible et insuffisant pour écarter la minorité, et conclut que l’évaluation de l’âge de Michael par le SEM était arbitraire.2>Cas n°491, ODAE romand.

A l’heure actuelle, la détermination de l’âge des requérant·es d’asile dépourvu∙es de documents d’identité originaux se fait au travers de l’évaluation des déclarations, de l’apparence physique, du comportement, ainsi que d’expertises médico-légales (anamnèse et examens physiques, radiographie des dents, de la main, voire scanner de l’articulation sterno-claviculaire). Or, aucune méthode scientifique ne permet d’établir avec certitude l’âge d’un·e jeune qui aurait entre 15 et 20 ans. Ainsi, ces tests physiques donnent des résultats peu fiables avec des fourchettes de plus ou moins deux ou trois ans. Et cette marge est cruciale car une erreur d’estimation entraîne des conséquences sociales et juridiques considérables: le ou la jeune déclaré∙e majeur∙e perd l’accès à un hébergement séparé des adultes, à une prise en charge particulière (notamment lors des auditions de la procédure d’asile) et à l’attribution d’une personne de confiance. Il fait également face à un possible renvoi sans aucune garantie de prise en charge.

Néanmoins, la Suisse continue de recourir à ces examens invasifs, alors même que de nombreux médecins dénoncent leur manque de scientificité et leur incompatibilité avec la déontologie médicale3>Article de la Société suisse de pédiatrie du 24.05.2017, paru dans le Bulletin des médecins suisses N°2017/2122; Masgonty, Marine, «Evaluation de l’âge des RMNA en procédure d’asile», in: Jusletter, avril 2025.. De tels tests ne tiennent par ailleurs aucunement compte du développement physique d’adolescent·es qui ont parfois commencé à travailler tôt dans leur vie et ont souvent connu un parcours éprouvant qui impacte le corps.

Tout comme Michael, Adil4>Cas n°486, ODAE romand., enfant arrivé seul en Suisse après avoir transité par la Suède, a vu son âge modifié par les autorités suisses de sorte à le donner majeur. Après avoir modifié sa date de naissance, le SEM ordonne son renvoi vers la Suède, Etat qui pourtant l’avait reconnu mineur. Même scénario pour Kamal5>Cas n°490, ODAE romand., dont la date de naissance est réfutée par le SEM qui le déclare majeur et prononce son renvoi vers la Croatie. A nouveau, ce pays l’avait enregistré comme mineur. Les deux enfants obtiendront finalement gain de cause, respectivement devant le TAF pour Kamal et devant le Comité des droits de l’enfants pour Adil.

Lorsqu’il s’agit de partager des données permettant d’effectuer les renvois de personnes en quête de protection, les Etats membres de l’espace Schengen sont redoutables d’efficacité. Mais quand cela concerne des données personnelles fondant un droit à une protection immédiate, celles-ci sont adaptées à l’envi.
Pourtant, la Convention internationale des droits de l’enfant a rappelé que «la détermination de l’âge d’un jeune qui affirme être mineur revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure détermine si l’intéressé peut prétendre à la protection de l’Etat en qualité d’enfant» et que «tant que la procédure de détermination de l’âge est en cours, l’intéressé doit avoir le bénéfice du doute et être traité comme un enfant»6>Décision CRC/C/92/D/130/2020.. La Convention consacre ainsi le principe de présomption de minorité, un principe également adopté par le TAF7>Arrêt E-7333/2018, consid. 2.3. – qui a reconnu que la minorité devait être admise dès lors qu’elle était vraisemblable –, mais très régulièrement bafoué par le SEM.

Notes[+]

Les autrices sont membres de l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE).