L’islamophobie connaît une progression fulgurante, en Suisse aussi. En 2024, les cas de racisme antimusulman ont été multipliés par trois par rapport à l’année précédente. Les discriminations visant les Arabes ont, quant à elles, plus que doublé. C’est le constat tiré par le réseau des centres de conseil pour les victimes de racisme, fondé par la Commission fédérale contre le racisme et Human Rights Watch, dans un rapport publié dimanche dernier1>Incidents racistes recensés par les centres de conseil 2024. Berne, avril 2025..
Moins fréquentes que le racisme anti-Noir·es (368 cas), les occurrences de racisme antimulsuman (209) ont cependant connu une progression largement supérieure à la moyenne (+38%), soulignent les auteur·rices, précisant que ces chiffres ne forment que «la pointe de l’iceberg». Pour comparaison, les bureaux de conseil ont documenté 66 cas d’antisémitisme, en progression de près d’un tiers par rapport à 2024.
Préoccupant, le constat n’est pas isolé. En février, une étude mandatée par la Confédération révélait que 35 % des personnes de confession musulmane disaient avoir été victimes de discrimination en 20192>Racisme antimulsuman en Suisse. Synthèse de l’étude de référence. Berne, février 2025.. L’augmentation constante de l’islamophobie «reflète un climat social tendu et lui confère une actualité et une urgence toujours plus importante», résumait alors Marianne Helfer, responsable du Service de lutte contre le racisme à Berne.
Cette évolution ne tombe pas du ciel. En 2017 déjà, le politologue Matteo Gianni décrivait la stratégie de «politisation de l’islam et des musulmans» adoptée par l’UDC et les partis de la droite nationaliste, désormais relayés par la droite bourgeoise et jusqu’à certains secteurs de la gauche. En 2009, la victoire de l’initiative contre les minarets avait marqué un temps fort de cette campagne raciste de longue haleine.
Depuis, cette politique de stigmatisation n’a fait que se renforcer. En 2021, l’acceptation de l’initiative dite «anti-burka» a abouti à inscrire dans la Constitution helvétique un deuxième article visant de fait la minorité musulmane. Lors des élections fédérales de 2023, le conseiller national UDC Andreas Glarner a appelé à «mettre un frein à une religion dont les membres cherchent à imposer leurs exigences (…) par des attentats à l’explosif et des agressions (…)». En janvier dernier, l’UDC proposait d’interdire le burkini dans les piscines genevoises. Et aujourd’hui à Weinfelden, dans le canton de Thurgovie, le comité d’Egerkingen piloté par le parti de Blocher mène une campagne agressive contre l’installation de carrés musulmans dans le cimetière public.
Aux côtés du racisme anti-Noir·es, l’islamophobie est devenue une variante dominante du racisme en Europe, sur laquelle s’appuie une extrême droite en pleine ascension3>Lire à ce sujet: Ugo Palheta, Ludivine Bantigny: Face à la menace fasciste. Textuel, 2021.. Pour combattre ce fléau – qui est aussi une clé d’explication à l’insoutenable consentement de la plupart des Etats occidentaux au génocide contre les Palestinien·nes –, il faut d’abord briser le silence qui l’entoure. Y compris en Suisse.
Notes