Mardi 18 mars, après quelques semaines de trêve régulièrement violées et pendant lesquelles plus de 130 Gazaouis sont morts, Israël a rompu complètement les accords: bombardements intensifs dans toute la bande de Gaza, plus de 400 morts en quelques heures. Le cauchemar a repris [la reprise des offensives israéliennes ayant fait au moins 673 morts au 23 mars]. La situation est dramatique pour les 2 400 000 Gazaouis qui attendent toujours une solution politique.
Depuis plus de trois semaines, les passages sont à nouveau complètement fermés par Israël. Cela signifie que plus rien n’entre dans la bande de Gaza. Il n’y a pas d’eau potable, ni de gaz, on doit cuisiner au bois mais le bois est devenu presque introuvable. On ne trouve presque plus rien sur les marchés et les prix ont flambé. La vie quotidienne est donc toujours aussi difficile pour la population de Gaza.
Aujourd’hui, je vais parler des enfants de Gaza qui, comme l’ensemble de la population, souffrent au quotidien. Leur vie a profondément changé. Les enfants sont traumatisés, sous le choc de ce qu’ils ont vu et vécu, mais ils vivent et leur courage est exemplaire.
Au bilan provisoire, environ 17 500 enfants palestiniens de moins de 14 ans ont été assassinés depuis octobre 2023. Parmi lesquels on compte 250 nouveau-nés et 900 enfants de moins d’un an.
- 36 000 enfants sont orphelins d’un ou de leurs deux parents. La solidarité familiale est très forte chez nous. Il n’y a pas de centre d’accueil prévu pour les orphelins qui sont accueillis chez une tante, un oncle, chez les grands-parents ou chez des proches. Il y a la petite famille et la grande famille, c’est un aspect très important à souligner.
Actuellement, 40 000 enfants souffrent de malnutrition. Il fait froid, surtout la nuit. Les maisons n’ont plus de fenêtres, plus de porte ni moyen de chauffage. Pour les personnes déplacées qui vivent sous les tentes, la situation est pire encore. 12 enfants sont morts de froid en janvier et février 2025. - 12 000 enfants malades auraient besoin de soins urgents à l’étranger. Malheureusement, beaucoup d’enfants sont déjà morts à cause de la faillite du système de santé.
Depuis le 7 octobre 2023, les enfants vivent dans l’inquiétude, l’angoisse, la peur. Ils font partie de la catégorie la plus durement touchée. Pendant les quinze mois de l’agression, c’était une souffrance au quotidien.
Ensuite, épreuves particulièrement difficiles pour les familles: les déplacements forcés et la situation humanitaire dans les centres d’accueil ou des tentes déchirées et abîmées, dans le froid et sous la pluie.
Réveillés la nuit par les bruits des drones et de bombardement, beaucoup d’enfants souffrent aujourd’hui de graves troubles psychologiques. Autre aspect dramatique, ils ont vu beaucoup de leurs parents ou d’autres membres de leur famille ainsi que leurs camarades assassinés sous leurs yeux. Ils ont aussi vécu l’arrivée des chars et des blindés et assisté à la destruction complète de leur maison, leur quartier, leurs écoles, les stades et les centres de loisirs.
Entre octobre 2023 et octobre 2024, il n’y a pas eu d’école. C’est une année scolaire qui a été perdue. Au lieu d’aller à l’école ou de jouer devant leur maison ou dans leur quartier, les enfants étaient obligés de rester avec leur famille ou dans les centres d’accueil. Rester dans la rue était trop dangereux.
Cette manière de vivre a provoqué un changement dans leurs habitudes car désormais les enfants devaient accomplir de nouvelles tâches. Tout d’abord, le matin, aller chercher de l’eau potable et de l’eau domestique dans les citernes qui passent dans les quartiers une fois par semaine, suite à la destruction des puits par l’occupation. Ensuite, accompagner leurs parents au marché pour trouver de la nourriture. Enfin, on leur a donné comme mission d’aller recharger les portables là où se trouvent encore des panneaux solaires.
Ces changements d’habitudes et ces nouvelles tâches expliquent que, pendant cette période dramatique, les enfants sont devenus adultes et responsables. Ils ont pris conscience du nouveau rôle très important qu’ils avaient à jouer dans la famille. Privés d’école, de jeu, de nourriture, de médicaments, de soin, ils ont été obligés de s’adapter et d’avoir un comportement responsable vis-à-vis de leur famille. En l’absence du père ou des frères, assassinés, blessés, disparus ou emprisonnés, les mères avaient besoin d’aide.
Personnellement, je suis en contact au quotidien avec des enfants pour des activités d’animation et de soutien psychologique organisées avec des jeunes bénévoles. Je suis l’évolution des centres éducatifs et des tentes éducatives et je vais dans les associations de la société civile qui offrent des activités et des services aux femmes et aux enfants. Je constate que trois éléments ont aidé les enfants à tenir dans cette situation terrible et les ont fait grandir: la famille, l’école et les associations.
Les jeunes enfants ont pris conscience du rôle très important que leur mère ou leurs sœurs, leur grand-mère ou leur tante prenaient dans la famille. Ils ont compris tous les efforts que les femmes doivent fournir pour s’occuper de tout, dans la maison, mais également à l’extérieur.
Tous ces changements ont rendu les enfants adultes. Pour ma part, j’ai remarqué des changements importants dans leur comportement. D’une part, les enfants sont devenus moins violents. On s’attendait à ce que les enfants traumatisés soient violents, c’est le contraire que j’ai constaté. Deuxième aspect positif, les enfants sont devenus sages et responsables. Ils sont calmes et silencieux pendant les cours. Ils sont disciplinés. Troisième aspect positif: j’ai remarqué, dans les discussions que j’ai eues avec eux, que les enfants parlent moins souvent de la mort, de l’assassinat des membres de leur famille, de la destruction de leur maison.1> Ndlr: ce constat et les suivants ont été établis par l’auteur avant la reprise des bombardements massifs dans la bande de Gaza.
Quand on organise des ateliers d’expression, les enfants dessinent aujourd’hui, l’espoir, ils dessinent la paix, les oliviers, la mer – ils ont la nostalgie de la mer. Ils dessinent la vie qui reprend, la réouverture des restaurants dans leur quartier. Ils utilisent des couleurs claires alors qu’avant ils utilisaient beaucoup le noir et les couleurs foncées. On voit moins de chars, de blindés ou d’avions militaires et de morts. C’est un autre signe positif.
Les enfants sont devenus adultes, ils ont pris conscience de leur rôle et de leurs responsabilités, ils sont moins violents et plus appliqués en classe et surtout ils montrent de l’espoir pour l’avenir. Toutes ces constatations montrent que le travail d’accompagnement, de soutien et de protection par la famille, l’école et les associations porte ses fruits.
Les enfants commencent à surmonter leurs traumatismes, mais il faudra du temps.
Notes