«Le totalitarisme c’est la superfluité de l’homme comme principe ordonnateur du monde.» Hanna Arendt, philosophe.

C’est une matinée du mois de mars, il y a quelque chose dans l’air qui annonce le printemps, quelque chose d’acide et de joyeux dans les chants d’oiseaux. Mais cela est indifférent à Léda, elle s’accroche à cette lumière grise qu’elle porte en elle depuis quelque temps. Sa petite sœur Mathilde a l’air plus sensible à la beauté de la journée. Elle s’agite, danse sur la pointe des pieds avant de s’immobiliser pour observer sa sœur qui range cahiers et trousse dans son sac à dos. Léda a 12 ans, Mathilde a 7 ans. Depuis quelques mois sa sœur l’ignore, ce qui lui fait de la peine. «Ça va passer», dit maman mais elle aussi a de la peine, ça se voit.

Léda et Mathilde suivent le même chemin pour aller à l’école, mais l’aînée a décrété qu’elle ne voulait plus être embarrassée de la petite. Léda part donc dix minutes plus tôt que sa sœur, dévale l’escalier, pressée de retrouver ses amies. Pendant ce temps le soleil brille et les oiseaux chantent sans que cela entame ce halo gris qui l’entoure.

La matinée s’écoule, mais Léda est convoquée pendant la grande pause par la responsable psychologue-éducatrice.

Les parents-robots sont gentils, compréhensifs, fermes mais détendus

Assise derrière une table transparente, verre ou plastique, elle interroge Léda. Quelles sont les difficultés qu’elle rencontre à l’école, à la maison? La fillette se plaint de ses parents si souvent tendus, elle évoque les fréquentes disputes. La psychologue opine du chef, prend des notes sur sa tablette.

«Il y aurait une solution, avance-t-elle. Tes parents sont fatigués, ils trop sur les épaules. Peut-être qu’un peu de vacances leur ferait du bien?

– Et nous alors?, dit Léda piquée au vif.

– Eh bien, on pourrait vous envoyer des parents de remplacement. Voici la liste des qualités qu’il manque à tes parents. Si tu cliques là et là, tu pourrais obtenir un parent de substitution qui correspond en tous points à tes désirs.»

Léda se penche sur la liste, y trouve des qualités comme patience, humour, disponibilité. Elle clique et rend la tablette à la psychologue qui lui sourit, encourageante.

De retour à la maison, elle aperçoit, avant de se glisser dans sa chambre, une femme inconnue qui lui fait un signe de la main. Surprise, elle s’approche et entend de la bouche de l’inconnue, plutôt belle, qu’elle va remplacer ses parents pendant un certain temps, elle ajoute: «Comme tu l’as désiré».

Léda est mal à l’aise.

Au repas du soir, où tout est comme avant sauf la femme qui dit remplacer sa mère et l’homme qui dit remplacer son père, qu’elle commence à s’inquiéter. «Tu verras nous serons des parents exemplaires, attentionnés. Nous sommes programmés pour faire de vous des enfants heureux et épanouis.»

Mathilde regarde sa sœur avec de grands yeux et avant d’aller se coucher, elle s’accroche à elle et lui chuchote, des larmes plein les yeux: «C’est vrai que c’est toi qui les a commandés? Et qui as débarrassé les parents?»

Le lendemain Léda prend son courage à deux mains pour aller voir la psychologue-éducatrice qui l’accueille dans son bureau où règne une lumière bleutée.

«Mais Léda, c’est toi qui as demandé cela en cliquant sur les caractéristiques qui te paraissaient souhaitables et que tu ne trouvais pas chez tes parents.

– Je crois que Mathilde n’est pas contente de la situation.

– Cela passera. Nos parents de substitution ont un programme IA d’excellente qualité, ils sont totalement adéquats.»

Et c’est vrai, les parents-robots sont gentils, compréhensifs, fermes mais détendus. Bref, parfaits. Mais Mathilde reste désolée, toutes les nuits elle veut dormir avec sa grande sœur. Léda se résout à aller revoir la psychologue-éducatrice pour demander le retour des vrais parents. «Ah cela n’est pas possible. Ils sont partis très loin, ils vous ont déjà oubliés.» C’est ce soir-là qu’elles décident de fuguer dans l’espoir de retrouver leurs vrais parents.