C’est l’histoire d’un mec, écrivain dans le doute, qui peine à trouver la chute de son prochain roman. Il panique, il parle aux copines et copains, leur donne à lire la chose en l’état, le chantier, le champ de bataille. On lui suggère des pistes, fais comme-ci, fais comme ça, il les écarte, rien ne le convainc. Après tout, est-ce qu’il sait ce qu’il veut dire, dans ce roman?
Non justement, il ne sait pas. Il pense qu’écrire un roman pour aboutir à une fin prévue d’avance, comme une randonnée estivale avec l’itinéraire Maps, c’est assez emmerdant. Il aimerait que le roman l’emmène faire connaissance avec une part du monde, une part de lui, qu’il ignore encore. Il pense à ce que Kafka écrivait à Oscar Pollak, le 27 janvier 1913: «Nous avons besoin de livres qui agissent sur nous comme un malheur dont nous souffririons beaucoup, comme la mort de quelqu’un que nous aimerions plus que nous-mêmes, comme si nous étions proscrits, condamnés à vivre dans des forêts loin de tous les hommes, comme un suicide – un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous.»
L’écrivain ne sait plus à quel saint se vouer. Un ami lui dit d’essayer ChatGPT, après tout, pourquoi pas? Il prépare son fichier Word et le glisse dans la gueule du robot conversationnel, qui manque s’étouffer. Le robot rote longuement, s’éclaircit la gorge, et affiche sa question sur l’écran noir de ses nuits blanches: «Vous désirez quelle tonalité d’ensemble, romantique, tragique ou comique? Quant au style, neutre, burlesque, populaire ou littéraire? Et la chute, morale ou amorale, causaliste ou imprévue?» L’écrivain choisit trois options parmi les offres du robot. Et dans les secondes qui suivent, trois fins romanesques apparaissent sur son écran, chacune couvrant une pleine page. Il s’y plonge: il craignait les grosses ficelles mais ce sont des cordes d’amarrage!
«Vous désirez quelle tonalité d’ensemble, romantique, tragique ou comique?» Chat GPT
L’autre jour dans Le Figaro, on interrogeait le directeur d’une grosse maison d’édition connue pour sa collection de best-sellers: «Aujourd’hui cela se voit lorsque les passages d’un manuscrit sont retravaillés par l’IA, mais si cela se trouve, d’ici six mois, je serais totalement bluffé.» Faut-il refuser un texte sous prétexte qu’il a été rédigé, en partie ou totalement, par une IA, demande la journaliste? «Tout dépendra du degré d’utilisation et de la démarche artistique. Si elle est assumée, pourquoi pas. Ce n’est pas parce qu’un photographe utilise Photoshop qu’on lui retire sa qualité d’artiste. Et puis l’IA nous aide déjà bien, pour le choix d’une couverture, la traduction interne ou les arguments commerciaux».
L’écrivain, toujours plus dévoré par le doute, opte pour une sieste qui porte conseil. Il rêve abondamment de slow literature. Au réveil, il désactive le robot conversationnel: lui aussi a besoin de repos. Après tout, le réel n’est qu’une mauvaise habitude.
Puis il saisit son meilleur crayon et joyeusement rédige d’une traite la fin du roman, dont il ignorait tout jusqu’à cette sieste.