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Les Suisses peu éduqués aux médias

Jean-Claude Domenjoz revient sur la première évaluation des compétences médias de la population, selon laquelle les Suisse·sses, notamment les Romand·es, sont nombreux·ses à ne pas faire la différence entre une information et une publicité ou un commentaire.
Etude

Disposer de compétences médiatiques est essentiel aujourd’hui dans un contexte de désinformation et de cyberguerre. Avec les réseaux sociaux et les techniques d’intelligence artificielle, l’exposition de la population aux informations trompeuses ou inventées, aux images et vidéos manipulées (deep fake) et aux discours de haine ne cesse de croître. A l’inverse, l’affaiblissement des médias journalistiques traditionnels fondés sur des normes professionnelles se poursuit avec la désaffection de la presse d’une part croissante de la population.

C’est pourquoi les résultats de la première enquête sur les compétences médiatiques de la population suisse, commanditée par l’Office fédéral de la communication (Ofcom), sont très inquiétants. Catastrophiques même. En moyenne, les personnes interrogées ont donné un tiers de réponses correctes aux questions qui leur étaient posées. Les résultats sont très différents selon la région linguistique, notamment en fonction de l’âge, du sexe et du niveau de formation. Cette enquête révèle qu’une large part de la population suisse n’est pas en capacité de sélectionner des sources d’informations sûres et de décrypter correctement les messages qui lui parviennent.

Les germanophones, les hommes et les personnes qui disposent d’un niveau d’éducation plus élevé ont obtenu de meilleurs résultats que les francophones, les femmes et les personnes qui n’ont qu’un faible niveau d’éducation. Chaque groupe d’âge en Suisse alémanique a obtenu de bien meilleurs résultats qu’en Suisse romande. C’est ainsi que seulement 18% des répondant·es en Suisse romande disposent de compétences médiatiques moyennes et élevées, alors qu’elles sont 32% en Suisse alémanique, près du double. Les jeunes adultes de Suisse romande (18-29 ans) se caractérisent par la faiblesse de leurs compétences médiatiques – moyennes ou élevées pour seulement 12%.

Cette enquête, réalisée par l’institut Politools1> J. Fivaz, D. Schwarz, déc. 2022, arbor.bfh.ch/handle/arbor/34175, apporte une variété de renseignements essentiels sur les compétences médiatiques, les comportements et les attitudes de la population suisse vis-à-vis de l’actualité politique et sociale ainsi que sur sa compréhension du rôle des médias dans la démocratie helvétique. Le réseau scientifique Politools (Political Research Network) est bien connu pour son application d’aide au vote en ligne Smartvote et de nombreux projets dans le domaine de l’analyse et de l’éducation politique.

Le questionnaire, administré en ligne, portait sur une riche variété de supports et de situations ordinaires que l’on peut rencontrer quotidiennement lorsque l’on consulte de l’information. Il vaut la peine de les détailler pour bien comprendre la portée des résultats de cette enquête: médias en ligne, réseaux sociaux, plateformes de partage de vidéo et moteurs de recherche. C’est ainsi que des documents relevant du journalisme, des relations publiques ou du divertissement ont été soumis aux répondant·es, mais aussi de la publicité, des opinions et de fausses informations (fake news). Il s’agissait de reconnaître l’intention de la communication, d’identifier la source et d’interpréter le contenu du message. Les connaissances élémentaires concernant les caractéristiques des réseaux sociaux et le comportement adopté après avoir relayé une fausse nouvelle ont aussi été abordés.

Alors que le Conseil fédéral a publié en juin 2024 un rapport sur les Activités d’influence et de désinformation qui met en évidence que les compétences médiatiques de la population sont un des aspects essentiels de la résilience de notre société démocratique, les piètres résultats de cette enquête laissent songeur. Si pendant longtemps on a réservé l’éducation aux médias et à l’information aux jeunes dans le cadre scolaire, l’avènement des réseaux sociaux et les nouvelles habitudes de consommation d’informations en ligne ont tout bouleversé. Il faut non seulement développer les actions éducatives qui visent à étendre la culture médiatique de toute la population, mais aussi en évaluer leurs effets. C’est pourquoi il est indispensable de répéter régulièrement cette enquête, ainsi que de multiplier de telles investigations auprès de populations spécifiques, en particulier des jeunes au sortir de la scolarité obligatoire.

Notes[+]

Jean-Claude Domenjoz est auteur du blog educationauxmedias.ch (GE).