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De l’hospitalité à l’agressivité

Les politiques d’asile en Europe sont caractérisées par une «agressivité nationaliste et légalisée», avance Alain Tito Mabiala. Le processus d’asile devient «une arène où ne survivent que les plus résilients».
Asile

Si la Convention de Genève de 1951 constitue la base juridique du statut de réfugié, l’octroi dudit statut dépend de chaque pays selon les conditions définies par ses lois y relatives. Aujourd’hui, face à la continuité des instabilités sociopolitiques à travers le monde, la migration vers des espaces plus ou moins paisibles est continue. La question soulève en Europe comme en Amérique du Nord toutes sortes de controverses. L’immigration est devenue un mal à combattre, jusqu’à piétiner les droits élémentaires de l’être humain.

Les personnes en fuite, dès leur arrivée dans les pays d’accueil subissent, en dépit des soins qui leur sont apportés, un matraquage administratif, voire coercitif, qui ouvre la voie non pas à la paix tant espérée, mais à la prolongation et au maintien d’un état d’anxiété et de vulnérabilité dont la territorialité a changé. Le processus d’asile, chronophage, avec toutes ses incertitudes, attise les troubles psychiques. «La durée de la procédure d’asile et la crainte du renvoi, cumulées aux expériences pré-migratoires, créent un phénomène d’usure et débordent les capacités de résilience des réfugiés», selon une étude de l’université de Genève.1> www.unige.ch/medias/2017/limpact-des-conditions-daccueil-sur-la-sante-mentale-des-migrants Déshumaniser les réfugiés et les transformer en intrus contre lesquels il faut sévir, en vertu du durcissement des lois de l’asile, est une option exploitée par les partis de droite. Le débat se fait en livrant les réfugiés à la vindicte populaire. Il en émane une haine latente et une insensibilité officialisée à toute souffrance humaine, quel que soit l’âge ou l’état de la personne migrante. Même si une mort certaine peut s’ensuivre. En Suisse, cette logique devient impitoyable.2> C. Krafft, «La Suisse met en danger un garçon de 10 ans en le renvoyant en Croatie», Blick, 08.02.2025.

Les organisations de la société civile s’opposent à ces pratiques déshumanisantes en actionnant les leviers de droit et en comptant sur la mobilisation citoyenne.3> https://lecourrier.ch/2025/02/19/loeil-de-berne-dans-les-natels/ Devant certaines urgences, la perte de temps risque de faire des requérants d’asile fragilisés par les circonstances les victimes du système. Déjà négativement impactés par les vicissitudes de leur parcours, les personnes en quête de refuge vivront une prolongation de souffrances, cette fois légalisées, comme une torture. Cela fait de l’asile une arène; n’y survivent que les plus résilients et aptes à résister à l’idéologie «destructrice»4> www.rts.ch/info/culture/cinema/2024/article/dans-l-audition-lisa-gerig-offre-une-plongee-saisissante-dans-la-procedure-d-asile-28452131.html que déploient les administrations dans la gestion de chaque demande d’asile.

En France, le discours officiel sur la migration ne cache plus ses relents racistes quand le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, évoque la rhétorique de la déculturation par la «submersion migratoire», alors que les étrangers n’y représentent que 8,2% de la population. En filigrane, se profile la thèse d’Alain Girard, «le seuil de tolérance»5> Morice A., 2007, Journal des anthropologues, doi.org/10.4000/jda.2509, ou la caution politique du «grand remplacement»6> Gastineau N., 2021, www.philomag.com/articles/dou-vient-le-terme-grand-remplacement, comme l’ont prôné certains essayistes. Ce qui justifierait une exacerbation du droit pénal vis-à-vis des migrants non européens dans leur ensemble7> Takodju & Doerr, 2024, www.village-justice.com/articles/loi-pour-controler-immigration-ameliorer-integration-droit-penal,48896.html.

Le discours politico-agressif contre la migration féconde une violence que l’on feint ne pas voir. Le massacre dans une mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande en 2019 ou la tuerie d’Örebro en Suède en février, dont la majorité de victimes était immigrés en processus d’insertion socio-professionnelle, en sont les preuves. Ce discours péjore la liberté d’expression et l’humanité que doit incarner toute démocratie. Les politiciens sont au défi de mûrir leurs discours afin de promouvoir la paix et de s’attaquer aux vrais problèmes qui nuisent au libéralisme social et économique. Il s’agit de faire preuve de responsabilité, de sens critique et d’inventivité lorsqu’on aspire à un mandat public, plutôt que servir une logique infecte, populiste et simplificatrice qui évite de s’attaquer aux défis sociétaux tels que la gestion humaniste de la migration et la justice sociale.

Alain Tito Mabiala est journaliste et poète congolais exilé en Suisse.