Xfam a publié le rapport «Inequality Inc» qui montre que les fortunes colossales des ultra-riches contribuent à creuser les inégalités dans le monde. Les bénéfices des grandes entreprises profitent en premier lieu aux actionnaires, donc à leurs propriétaires super riches, et très peu à la population. L’étude met en avant la nécessité de redistribuer le pouvoir des ultra-riches et des multinationales par le biais de mesures gouvernementales. Rien de très nouveau, me direz-vous. Mais cela signifie qu’en Suisse taxer les ultra-riches (qui représentent 0,9 % de la population) permettrait de générer quelque 40 milliards de francs, selon la même étude, soit l’équivalent de près de 40% des dépenses de la santé. Cela donne à réfléchir, sachant les tensions qui existent autour du financement des soins, en se souvenant de l’angoisse de voir venir sans aucun contrôle démocratique les augmentations des primes d’assurance-maladie chaque automne (+6,2% rien que cette année!).
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) le rappelle régulièrement: on n’atteindra pas les objectifs du développement durable sans permettre l’accès aux soins pour toutes et tous, ce qui passe par une planification et par une distribution des ressources médicales, en acceptant que la santé est un droit et non un marché avant tout. C’est d’ailleurs peut-être à cause de cela que le président Trump a signé un décret pour sortir les Etats-Unis de l’OMS, entre autres décisions catastrophiques pour la solidarité. Au nom de la loi du plus fort et au mépris de la cohésion sociale.
En Suisse, la Loi sur l’assurance-maladie (LAMal) est en principe l’instrument de mutualisation du financement des soins, même si les cantons doivent souvent payer une partie des primes que les ménages ne parviennent plus à financer. Cela concerne plus de 30% des Vaudois·es et des Genevois·es! Mais la droite parlementaire et les assureurs (qui viennent de voir leur pouvoir renforcé, après l’acceptation de la réforme EFAS1>Lire «A votre santé» des 2 février, 16 août et 6 décembre 2024. en novembre dernier) veulent faire financer par les patient·es une plus grande partie des soins – au mépris de la solidarité sociale –, alors que la Suisse est déjà un des pays de l’OCDE où la population paie le plus directement de sa poche!
C’est ainsi qu’en l’espace de quelques semaines, deux motions parlementaires ont été discutées tout récemment en commission de la santé du Conseil national. La première demande une augmentation de la franchise minimale de l’assurance-maladie, qui passerait de 300 francs à 500 ou 600 francs. La seconde réclame un «assouplissement» (en fait une limitation) de l’obligation de contracter, soit permettre aux assureurs de choisir avec quel hôpital ou quel médecin traitant ils veulent travailler, en vertu de considérations économiques et non médicales – ce second texte a été déposée par un conseiller national membre du conseil d’administration de prio.swiss, anciennement santésuisse, faîtière de nos assureurs-maladie… Ce seront les malades chroniques et les plus âgé·es d’entre nous qui se verront pénalisé·es, puisque les autres, pour abaisser leurs primes, ont déjà opté pour des franchises plus élevées – c’est d’ailleurs une étude de l’assurance Helsana qui a mis ce fait en évidence.
Une autre proposition a resurgi récemment, celle de taxer les consultations aux urgences hospitalières. Lesquelles sont régulièrement surchargées, en partie parce que les patient·es y recourent même pour des cas bénins – parce qu’ils ou elles n’ont pas trouvé de médecin traitant, parce que celui-ci ne prend plus d’urgence «du jour», parce que les assurances ne veulent plus rémunérer les gardes «de ville» de manière «acceptable», parce que leur vulnérabilité est très grande… Des collègues d’Unisanté de Lausanne avaient pourtant démontré qu’une telle taxe «pour des consultations bénignes pose des problèmes d’applicabilité et d’équité et n’apparaît pas comme une solution efficace pour lutter contre la surfréquentation des services d’urgences2>Kevin Morisod et al., «Instauration d’une taxe aux urgences: enjeux d’équité en santé», Revue médicale suisse no 776, 6 avril 2022.».
On peut encore parler de la déclaration choc d’un membre romand de la commission de santé du Conseil national, qui proposait tout récemment d’introduire une prime plus chère pour les retraité·es, parce que ce sont les plus gros consommateurs de soins.
En Suisse, les forces qui veulent diminuer la solidarité et l’équité en santé sont plus décomplexées que jamais. Elles ne veulent pas entendre que la santé n’est pas d’abord et seulement une affaire individuelle, que les déterminants socioéconomiques sont réels et incontournables, que la dégradation environnementale joue un rôle indéniable, ni que la population ne peut payer plus directement. On n’est pas loin de la loi «trumpienne» du plus fort et de la médecine à deux vitesses.
La démocratie ne se mesure-t-elle pas au sort réservé aux plus vulnérables et au respect des droits fondamentaux dont fait partie la santé?
Notes