Iman1>Prénom d’emprunt. est née en Palestine, dans la bande de Gaza, où elle se marie et a des enfants. Fin 2023, l’un de ses fils est blessé dans le bombardement par Israël du camp de réfugié·es où la famille survit. Il est amputé de la jambe gauche et doit rester aux soins intensifs en raison de blessures internes graves. Finalement, Iman et son fils reçoivent un visa humanitaire de la Suisse, afin de bénéficier de soins aux Hôpitaux universitaires genevois. Compte tenu du suivi médical de l’enfant et de la situation en Palestine, Iman dépose une demande d’asile.
Dans sa décision, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) refuse l’asile et la qualité de réfugié à Iman et à son fils, mais leur octroie une admission provisoire (permis F) pour inexigibilité du renvoi. Le SEM justifie son refus par le fait que le contexte de guerre ne constitue pas un motif d’octroi de l’asile, lequel est accordé aux personnes démontrant une persécution individuelle et ciblée.
Pourtant, il est arrivé que les autorités reconnaissent une persécution collective, visant un groupe de personnes se distinguant du reste de la collectivité par des caractéristiques communes, telles que l’appartenance ethnique ou religieuse. En 1997, la Commission de recours en matière d’asile (CRA)2>Aujourd’hui remplacée par le Tribunal administratif fédéral (TAF). avait ainsi cassé une décision de l’ODM3>Office des migrations, ancien nom du SEM. qui n’admettait pas la persécution collective des victimes du génocide commis contre la minorité musulmane à Srebrenica (Bosnie-Herzégovine)4>Décision de la CRA du 28.05.1997, M. M., Bosnie-Herzégovine.. L’ODM motivait déjà son refus par le fait que la situation correspondait, selon lui, à celle d’un conflit.
Inversement, la CRA avait souligné que les opérations militaires à Srebrenica visaient à «éliminer définitivement par la terreur toute présence dans une région, avec visée d’occupation», qu’elles étaient dirigées contre une population civile «en violation flagrante du droit international» et s’inscrivaient «dans une politique d’épuration ethnique». En raison de leur caractère systématique, planifié et durable, ces exactions commises par une autorité étatique contre une population civile étaient constitutives d’un crime de génocide. Partant, les musulman·es de Srebrenica devaient être reconnu·es comme collectivement victimes d’une persécution, indépendamment de la gravité des préjudices individuellement subis, et l’asile devait leur être accordé. Un an plus tard, la CRA suivait le même raisonnement concernant les Tutsis du Rwanda5>Décision de la CRA du 23 mars 1998, F. M., Rwanda..
Et Gaza? En parcourant l’argumentaire de la CRA, qui se base sur des rapports d’ONG telles qu’Amnesty International ainsi que sur les mandats d’arrêts du Tribunal pénal international à l’encontre des dirigeants serbes Mladic et Karadzic, on croit lire une description de la situation actuelle à Gaza. Car ces mêmes sources dénoncent les mêmes crimes: après des mois d’enquête, Amnesty International a conclu que «ce que subissent les Gazaouis (…) correspond à trois actes qualifiant le terme de génocide selon la Convention de 1948».6>«‘On a l’impression d’être des sous-humains’. Le génocide des Palestiniens et Palestiniennes commis par Israël à Gaza», Amnesty International, décembre 2024. La Cour internationale de justice considère que la commission d’un génocide est plausible, tant en raison des crimes massifs et systématiques à l’encontre de la population civile que de l’intention génocidaire des dirigeant·es israélien·nes7>Cour internationale de justice, Ordonnance du 26 janvier 2024 rendue dans l’affaire 192, Afrique du Sud c. Israël.. Et la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le premier ministre et l’ancien ministre de la Défense israéliens pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Si les autorités d’asile suisses sont cohérentes, le caractère collectif des persécutions subies par l’ensemble de la population de Gaza devra leur être reconnu. Cela signifie accorder systématiquement l’asile à toute personne issue de Gaza, indépendamment de son vécu personnel. La portée de cette reconnaissance ne sera pas seulement politique, puisque l’asile confère plus de droits: pour Iman, cela signifierait la possibilité de faire venir ses autres enfants mineurs toujours bloqués à Gaza et de reprendre ensemble le chemin de la vie.
Notes