Avec l’inhumation, samedi, de Jean-Marie Le Pen dans sa commune natale de la Trinité-sur-Mer dans le Morbihan, c’est une séquence singulière qui s’est achevée. On la redoutait, elle a dépassé nos appréhensions, tant les euphémismes se sont multipliés dans la bouche des politiques et des commentateurs. Les sorties racistes, antisémites et homophobes du fondateur du Front national ont bien souvent été ramenées aux «excès» d’un «tribun provocateur» amateur de «polémiques». Le premier ministre, François Bayrou, allant jusqu’à saluer un «combattant», une «figure de la Ve République». En même temps, qu’attendre d’un centriste qui s’achète le soutien du RN par le maintien à l’Intérieur du très réactionnaire et xénophobe Bruno Retailleau?
Et que dire des confidences de Marine Le Pen, affirmant qu’elle ne se «pardonnera jamais» l’exclusion de son père du Front national en 2015? Les cibles des vitupérations de Jean-Marie Le Pen peineront à verser une larme. Homosexuelles, juives, musulmanes ou de gauche, des catégories entières de la population ne rentraient pas dans le périmètre républicain de ce nostalgique de Vichy, tortionnaire sous l’uniforme en Algérie. Durant des décennies, étrangers·ères et mauvais·es Français·es auront fait l’objet des calembours les plus ignobles, des anathèmes les plus rances et virulents. Rhétorique qui fera progressivement tache d’huile, avec «le bruit et l’odeur» de Chirac, la banlieue à «nettoyer au Kärcher» et «l’homme africain pas assez entré dans l’Histoire» de Sarkozy. Ou, plus récemment, la «régression vers les origines ethniques» des Français·es de deuxième ou troisième génération par Retailleau. Pour ne prendre que ces exemples. Selon le président Macron lui-même, le problème des urgences hospitalières n’est-il pas que «c’est rempli de Mamadou»?
Préférence nationale, restriction de l’aide médicale d’Etat pour les étrangers·ères en situation irrégulière, remise en cause du droit du sol, suspension des allocations familiales pour les parents de mineur·es délinquant·es récidivistes: ces mesures phares du Rassemblement national font du chemin à l’heure où le parti dirigé par Marine Le Pen, héritière «dédiabolisée» de son père, arbitre le jeu politique dans une République en panne. L’outrance déshumanisante et les fantasmes de «grand remplacement» agités en guise de programme sont l’apanage des Trump, Orbán, Farage, Meloni et d’une AfD, en Allemagne, qui prône désormais ouvertement la «remigration».
Pas de place pour les euphémismes: Jean-Marie Le Pen fut bien un précurseur de cette montée inquiétante de l’extrême droite, un peu partout, et spécifiquement en Europe. Un continent qui a pourtant payé un tribut exorbitant au fascisme.