«Nous avons des choses à dire»
Ce 200e numéro est très spécial: pour la première fois de l’histoire de la revue, l’ensemble des articles ont été rédigés par des personnes réfugiées1>Nous considérons le terme réfugié selon la définition de la Convention de 1951: toute personne ayant fui son pays pour chercher une protection internationale, quelle que soit la reconnaissance qui lui est faite par les Etats ultérieurement.. Nous devenons actrices et acteurs, plutôt qu’objets d’analyse. Et nous avons des choses à dire. Dans un sens, asile.ch donne un exemple de démocratie inclusive.
Notre société a longtemps pensé l’asile et le refuge comme une solution temporaire. Or, au lieu de préparer les réfugié·es à un hypothétique retour, elle devrait préparer l’avenir en fournissant les conditions nécessaires et appropriées à leur intégration. En réalité, chacun·e devrait prendre ses responsabilités pour vivre ensemble: les réfugié·es aussi, en réalisant que ce pays est désormais le leur. Toutes les études sur la migration et surtout sur l’asile montrent que seul un très petit nombre des personnes déplacées de force retournent ou peuvent retourner définitivement dans leur pays d’origine. En fait, il n’est pas nécessaire de recourir à des études scientifiques pour le comprendre. Dans de nombreuses régions du monde, la situation ne cesse de se dégrader. Cette réalité de la migration globale, qui ne devrait pas diminuer au cours des prochaines décennies et qui pourrait même prendre une nouvelle dimension avec la crise climatique, nous rappelle une fois de plus que le monde est notre maison. Au lieu de s’attarder sur les rhétoriques populistes instrumentalisant les chiffres de la migration, dont on ne sait même pas comment ils sont collectés et interprétés, intéressons-nous à la seule vraie question sur laquelle notre société devrait se pencher: «Comment allons-nous vivre ensemble?»
Bien qu’ils et elles vivent ici depuis parfois plus de vingt ans, contribuent à la vie économique et paient des impôts, une part considérable de réfugié·es ne peut pas voter ou prendre part à la vie démocratique du pays en raison de nombreux obstacles politiques, notamment l’accès limité au permis C, puis à la naturalisation. Dès lors, les personnes concernées sont privées du droit de participer aux décisions prises en leur nom, alors qu’elles en sont tout à fait capables. Sans droit de vote ou d’éligibilité, leur voix n’est pas entendue, leur présence n’est pas vue. Elles sont le principal objet de dénigrement du discours de droite qui refaçonne la société à chaque occasion. Le bilan d’un pays, en matière de droits humains, se mesure à la lumière des conditions réservées aux personnes venant y chercher protection. Car les droits des réfugié·es sont des droits humains.
«Le droit à la représentation est un outil primordial pour créer des sociétés plus justes.»2>UNICEF, «Le droit à la participation des enfants dans le monde»; accès: https://tinyurl.com/mtrnmnzb Il est le maillon le plus fort du lien établi avec la démocratie dans le contexte de l’égalité, de la justice, du pluralisme et de la confiance. Nous devons prendre la responsabilité de construire ce lien ensemble, pour renforcer l’équité. Cet aspect politique détermine tout ce qui est mis en œuvre sur le terrain, l’avenir de la communauté des réfugié·es et le maintien de la confiance et de la sérénité au sein de notre société. Et nous avons des choses à dire!
Notes
Réfugiée kurde de 34 ans venant de Turquie, Zelal Karatas est militante pour les droits humains et des personnes migrantes. Après avoir essuyé un refus de soutien pour ses études en Valais, elle a renoncé à l’aide sociale et s’est installée à Genève. Elle est en dernière année de master en sociologie à l’Université de Genève.
Article paru dans asile.ch no 200, décembre 2024 (édition anniversaire, en collaboration avec l’équipe du blog «Voix d’exil»).
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