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Utile à l’agriculture, le génie génétique?

La loi en préparation risque d’entraîner l’introduction d’organismes génétiquement modifiés dans l’agriculture et l’alimentation, s’inquiète l’Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique (Stop OGM). Le tour des enjeux environnementaux, sanitaires et socio-économiques par Luigi d’Andrea, biologiste, et Fabien Fivaz, élu Vert au Conseil national.
Utile à l’agriculture, le génie génétique?
Luigi d’Andrea: «Si la Suisse avait investi il y a trente ans dans le développement de l’agroécologie, la question des OGM ne se poserait même pas aujourd’hui.» KEYSTONE
Agriculture suisse

Depuis quelques années, un discours bien rodé s’impose dans les débats: les nouvelles techniques de génie génétique (NTGG), comme CRISPR, seraient essentielles pour soutenir l’agriculture suisse. On vante leur potentiel à réduire l’usage de pesticides et à répondre aux défis des changements climatiques. Mais est-ce vraiment la voie à suivre?

L’industrialisation de l’agriculture depuis soixante ans a permis de réaliser des économies d’échelle et d’augmenter la production. Cependant, ce modèle repose sur une simplification des agro-systèmes, aussi bien dans leur structure que dans leur fonctionnement. La diversité génétique cultivée a fortement diminué, rendant ces systèmes plus vulnérables aux perturbations. Pour pallier ces faiblesses, l’agriculture industrielle s’appuie sur des intrants: des engrais pour compenser l’épuisement des sols et des pesticides pour contrôler les ravageurs et pathogènes. Ces derniers, non régulés par des écosystèmes naturels affaiblis, prolifèrent dans les monocultures à grande échelle.

Ces pratiques créent un cercle vicieux: elles augmentent temporairement la productivité, mais engendrent des externalités négatives majeures, comme la chute de la biodiversité, la pollution des sols et des eaux, et une dépendance accrue à des produits chimiques coûteux et au pétrole. A terme, ce modèle menace la durabilité des systèmes alimentaires.

Dans les années 1990, les organismes génétiquement modifiés (OGM) ont été introduits avec la promesse de simplifier les pratiques agricoles et de réduire l’usage des pesticides. Ici aussi, le miracle technologique devait permettre de résoudre les problèmes tout en intensifiant l’agriculture et donc en ne changeant rien au système qui les crée. Les variétés transgéniques, conçues pour tolérer des herbicides ou produire des toxines insecticides, devaient offrir une solution aux agriculteurs.

Les NTGG, une fausse bonne idée

Après trente ans d’utilisation, le bilan est accablant. Loin de réduire l’usage des pesticides, les OGM ont entraîné l’apparition de ravageurs et de mauvaises herbes résistants, nécessitant des quantités encore plus importantes de produits chimiques. Parallèlement, la surproduction a généré un gaspillage massif: près de 40% des denrées alimentaires produites mondialement sont perdues. Cette situation a fait chuter les prix agricoles, profitant aux grandes entreprises de transformation et de distribution, mais pénalisant lourdement les agriculteurs, dont beaucoup peinent à survivre.

Contrairement aux OGM traditionnels où les produits sont brevetés, les nouvelles techniques de génie génétique (NTGG), comme CRISPR, sont protégées par des brevets détenus par quelques multinationales actives dans l’agrochimie et la fabrication de pesticides. Aujourd’hui, la recherche est permise, mais leur utilisation à des fins commerciales fait face à une diversité d’acteurs qui affirment en détenir la propriété. Bien loin d’être une technique open source, CRISPR favorise encore plus la privatisation du vivant et la concentration des marchés entre les mains de grandes entreprises. C’est le but d’ailleurs: sans les brevets (apparus dans les années 1980), pas d’OGM. Cette situation limite l’accès à ces technologies pour les petits sélectionneurs. Les coûts des licences pour les utiliser risquent d’être prohibitifs pour les PME et les producteurs locaux.

De plus, l’explosion des brevets sur les séquences génétiques, rendue possible par l’utilisation de ces techniques qui permettent de modifier les génomes rapidement, risque d’exposer les sélectionneurs à un mur de brevets et d’entraver la sélection végétale. Il y aura donc encore moins de variétés résistantes ou adaptées localement qui seront développées. Ce qui renforcera les faiblesses déjà accumulées et ne permettra pas de sortir de l’impasse. Aujourd’hui, déjà, CRISPR est utilisée non pas pour amener une amélioration dans une variété, mais simplement pour permettre de la breveter!

Il n’existe qu’une quinzaine de variétés obtenues grâce aux NTGG sur le marché. Ce sont des plantes dont la composition nutritionnelle a été modifiée, des plantes qui tolèrent des herbicides (encore elles!), une pomme de terre et une banane qui ne brunissent pas une fois coupées et quelques variétés résistantes non cultivées en Suisse. Dans le pipeline des promoteurs des NTGG, aucune variété utile à l’agriculture suisse attendue pour les dix prochaines années. La sélection bio ou conventionnelle délivre en revanche des résultats et des nouvelles variétés chaque année.

Le mythe consiste essentiellement à faire croire que CRISPR est un outil miracle et qu’avec quelques modifications mineures nous créerons des plantes parfaitement adaptées. Ce n’est que de la poudre aux yeux pour faciliter l’acceptation d’une technologie. Les génomes sont extrêmement complexes, probablement les systèmes les plus complexes sur Terre; et nous connaissons encore très mal leur fonctionnement.

L’ADN n’est qu’une information et non un programme que l’on modifierait avec un éditeur du génome (CRISPR) comme on modifierait un texte avec un éditeur de texte. Il y a vingt ans, les scientifiques pensaient que la vie et les génomes pouvaient être entièrement expliqués par les gènes. Pourtant, la recherche de ces vingt dernières années a révélé une surprise de taille: dans le génome humain, 98% de l’ADN ne code pas pour des protéines (le «produit des gènes»), mais sert à d’autres fonctions. Cette découverte remet en question nos certitudes et souligne la complexité des systèmes biologiques.

La fabrication d’OGM engendre des effets non souhaités et des risques qu’il convient d’analyser. Une régulation appropriée devrait exiger du fabricant qu’il fournisse a minima les données sur les modifications effectuées – ce qui permet la traçabilité – et la preuve de l’absence d’éventuelles modifications non souhaitées. C’est le but de la loi sur le génie génétique qui est en passe d’être affaiblie par le Conseil fédéral (lire ci-dessous).

Qui dit culture d’OGM dit coexistence entre agriculture avec et sans OGM (bio ou conventionnelle). Or dans un petit territoire comme la Suisse, avec des parcelles imbriquées les unes dans les autres, tout le monde s’accorde pour dire que ce sera impossible. Les coûts de séparation des filières augmenteraient et les contaminations seraient inévitables. Il faut des règles claires. Les consommateurs doivent savoir ce qu’ils mangent en conservant l’étiquetage des produits génétiquement modifiés. Les agriculteurs doivent être protégés en exigeant que les producteurs d’OGM assument les surcoûts liés à la séparation des filières et les coûts liés aux contaminations et aux éventuels dommages. Aujourd’hui, aucun assureur n’est prêt à assurer ce risque car les dommages peuvent être énormes.

L’agroécologie, une solution efficace sans OGM

Face à ces défis, l’agroécologie offre une solution durable et efficace. Selon des rapports tels que l’Evaluation internationale des connaissances agricoles pour le développement ou le Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables, il est urgent de repenser nos systèmes agricoles. L’agroécologie repose sur une diversification des agrosystèmes, qui augmente leur résistance (capacité à résister ou éviter une nuisance) et leur résilience (capacité à récupérer après un événement perturbateur). Il est nécessaire d’arrêter d’adapter l’environnement pour qu’il corresponde à nos solutions techniques. Il serait préférable de s’adapter à l’environnement local par une diversification de nos agrosystèmes. Ceux-ci présentent plus de résistance et de résilience.

Les écosystèmes sont les véritables moteurs de la production, et la pensée réductionniste qui attribue à la génétique le rôle de principal facteur limitant cette production est non seulement incorrecte, mais conduit également nos systèmes alimentaires vers une dépendance accrue et des pertes massives de récoltes.

Si la Suisse avait investi, il y a trente ans, dans le développement de l’agroécologie et dans la formation des agriculteurs à ces pratiques, la question des OGM ne se poserait même pas aujourd’hui et nous serions le centre de compétence européen pour une agriculture durable.

Protéger l’agriculture

En Suisse, le débat sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) n’est pas nouveau. Dès 2005, un moratoire, soutenu par une initiative populaire, a interdit la mise en culture d’OGM. Renouvelé à plusieurs reprises, ce moratoire a façonné l’agriculture suisse en privilégiant la qualité plutôt que la quantité. Les labels comme les AOP (appellation d’origine protégée) et IGP (indication géographique protégée) ainsi que les grands distributeurs ont volontairement intégré cette restriction, renforçant l’image d’une agriculture de qualité, proche des consommatrices et consommateurs.

Aujourd’hui, après vingt ans sans OGM, la Suisse reste un modèle dans le monde. Les producteurs évitent les fourrages transgéniques, et les consommateur·trices continuent de rejeter massivement ces produits. Un sondage financé par l’industrie des semences en 2021 a révélé que plus des 75% de la population ne veulent pas d’OGM, ni dans les champs, ni dans leurs assiettes.

Malgré cette opposition populaire, la pression des milieux industriels et scientifiques a porté ses fruits sous la Coupole fédérale. En 2021, lors du dernier renouvellement du moratoire, le Parlement a demandé au Conseil fédéral de déréguler les OGM issus des nouvelles techniques de génie génétique. Pire encore, une nouvelle loi «spéciale» est en préparation pour 2025. Cette dérégulation pourrait entraîner l’introduction d’OGM dans l’agriculture et l’alimentation, sur le dos des consommatrices et consommateurs, sur le dos des agricultrices et agriculteurs, au seul bénéfice des distributeurs et des grandes multinationales des semences.

Face à cette menace, une large coalition composée d’acteurs du monde agricole, de défense des consommatrice·teurs et de l’économie a lancé une initiative populaire. L’objectif est clair: renforcer la sécurité par une analyse des risques, garantir la transparence par un étiquetage obligatoire, protéger l’agriculture bio et conventionnelle en reportant la responsabilité et les coûts de coexistence sur les promoteurs des OGM, et limiter les brevets pour préserver l’accès aux semences traditionnelles.

La Suisse a su démontrer qu’une agriculture sans OGM est possible et bénéfique, tant pour l’agriculture que pour l’environnement et les consommatrices et consommateurs. Cette réussite est aujourd’hui menacée. Une mobilisation est nécessaire pour maintenir ce modèle et empêcher l’introduction d’OGM à notre insu.

FABIEN FIVAZ
Conseiller national (Vert·es/NE), président de l’ASGG.

Luigi D’Andrea est docteur en biologie, permaculteur, arboriculteur et maraîcher bio; chargé d’affaires pour Stop OGM – Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique (ASGG).