Ancien parlementaire fédéral, engagé dans la vie civile et associative, René Longet est l’une des voix médiatiques qui s’expriment sur les enjeux de la durabilité de notre mode de vivre, de produire et de fonctionner – biodiversité, dérèglement climatique, et leurs relations avec l’économie. La quatrième édition de son livre (intitulé à l’origine Planète, sauvetage en cours) vient de paraître dans la collection «Savoir suisse» sous le titre Planète, état d’urgence1>René Longet, Planète, état d’urgence. Les réponses de la durabilité, Lausanne, Savoir suisse (4e éd. mise à jour), 2024, 208 p.. Sous une forme ramassée, c’est un ouvrage substantiel sur les multiples dimensions des défis de la durabilité: des faits, chiffres, références; un état des lieux des mesures déjà prises – insuffisantes – et des perspectives. Un apport nourrissant, structuré en sept parties accompagnées d’une importante bibliographie.
L’auteur commence par évoquer les rapports compliqués entre développement et environnement. Pensé en termes quantitatifs (critères de type PIB) et non qualitatifs, le développement, se résumant à la croissance, est confronté à la nature et aux limites de la biosphère et ne contribue pas à réduire les inégalités. Ceci quand la moitié des habitant·es de la planète peinent à satisfaire leurs besoins, et que d’autres modèles de gouvernance leur en donnerait les moyens. A propos des ressources et de l’accent mis aujourd’hui dans les efforts de sensibilisation (Jour du dépassement), Longet rappelle que «La Terre ne peut donner que ce qu’elle a».
Et de revenir sur l’origine première du développement durable, qui n’était pas une approche environnementale, mais plongeait dans les aspirations des pays du Sud au sens «d’une exigence de justice». Se référant au rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l’environnement de l’ONU (1987) – «Il n’y a pas une crise de l’environnement, une autre du développement, une autre énergétique. (…) il n’y en a qu’une» –, l’auteur insiste sur la nécessité de réfléchir et travailler en termes systémiques.
Particulièrement intéressante, la section «Aux sources philosophiques de la durabilité» recense les penseur·ses qui, dès le début du XXe siècle, ont posé les prémices de la pensée écologique substantielle qui nous nourrit aujourd’hui. L’ouvrage décrit les démarches au fil des décennies pour que le concept de durabilité, y compris climatique, soit relayé et que soient mises en œuvre des actions correctrices, avec un inventaire des conventions, accords, déclarations au niveau international – dans le cadre onusien le plus souvent. L’auteur rend notamment compte de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 adopté en 2015 et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD), en insistant sur le rôle qu’auraient à jouer les peuples autochtones, aux modes de vie proches de la nature et de la sobriété.
Citant Edgar Morin, qui dressait en 2012 un tableau sévère d’une classe politique qui «n’a plus de pensée, plus de culture (…), à la remorque de l’économie qui croit résoudre les problèmes par la compétition», Longet relève «un des côtés frustrants» de l’Anthropocène: malgré «davantage de pouvoir pour influencer notre avenir, nous n’avons pas nécessairement plus de contrôle sur celui-ci». Et met en avant la nécessité d’«être durable dans sa vie personnelle». Il souligne par ailleurs l’importance des services écosystémiques rendus par la biosphère.
La section «Pour une économie de l’utilité, de l’inclusion et du bien commun», à contre-courant de la politique étasunienne à venir, a été rédigée au lendemain de la réélection de Donald Trump. Sont également traités l’économie circulaire, le commerce équitable, l’économie sociale et solidaire, la finance durable.
La partie consacrée à la Suisse décrit les évolutions récentes en matière de durabilité, notamment la Stratégie pour le développement durable 2030, adoptée par le Conseil fédéral en 2021. Comme ailleurs, cela ne va pas assez vite, mais les choses bougent. Ainsi, l’édition 2023 du Code suisse de bonnes pratiques de la faîtière Economiesuisse se rallie prudemment à la stakeholder value, définissant l’activité durable d’une entreprise par la prise en considération des intérêts de l’ensemble des différentes parties prenantes dans la poursuite d’objectifs sociaux et environnementaux. Les enjeux et efforts nécessaires dans l’agriculture et le bâtiment sont aussi discutés.
Rappelant pour conclure que le modèle des Trente Glorieuses «ne tient plus ses promesses», Longet aborde la montée des régimes autoritaires, déplorant que «l’adhésion à la manière forte se répand, centrée sur l’égoïsme national et sans pitié pour la nature». En dépit d’un avenir proche pas très riant, il reprend une formule mise en exergue par les Grands-parents pour le climat à l’occasion de leurs dix ans: «On continue!» malgré tout. Il n’y pas d’autre chemin.
Notes