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Comment gagner?

Aurélien Baud invite à réfléchir autrement après les victoires des extrêmes-droites.
Société

J’ai attendu quelques heures ce mercredi matin 6 novembre pour laisser retomber l’émotion, puis me suis dit qu’il fallait en profiter. Comme vous, j’en ai marre de perdre. J’en ai marre que la droite ou l’extrême-droite nous écrasent à chaque fois. J’en ai marre que nos luttes se limitent à défendre ce qui existe plutôt qu’à conquérir de nouveaux droits, de nouvelles libertés, une société où tout le monde puisse vivre dignement. J’en ai marre d’accumuler, élections après élections, pays après pays, des défaites toujours plus décourageantes. Surtout: j’ai peur de m’y habituer, peur que la défaite devienne lentement supportable, comme on dirait d’une douleur chronique à laquelle il faut se faire – on la sentira moins si on n’y pense pas. Je n’ai jamais aimé perdre, mais depuis quelques mois, ça m’est devenu insupportable, et c’est sûrement aussi le cas pour vous.

Seulement quand on en a marre de perdre, il faut agir en conséquence. Appliquer les mêmes méthodes, les mêmes tactiques en espérant que miraculeusement elles se mettent à marcher – alors que cela fait des années qu’elles ne font plus effet – c’est au mieux de l’ignorance, au pire de la complicité. Quand on en a marre de perdre, on change de stratégie et on se donne les moyens de gagner.

Non, les gens ne prendront pas subitement conscience, même si on leur explique bien une énième fois les choses, qu’il faut être de gauche, voter écolo ou je ne sais quoi. Non, prendre les électeurs de Trump, du RN ou de l’UDC pour des arriérés ne servira qu’à alimenter leur radicalisation, même si cela nous conforte dans notre petite supériorité morale.

Arrêter de perdre – ne disons pas gagner trop vite – ça ne va pas être facile. C’est mettre les mains dans la merde, faire le sale boulot, se remettre en question. C’est sortir de sa zone de confort et réinterroger constamment ce qu’on fait (est-ce que c’est vraiment utile? Gagner deux sièges aux prochaines élections va-t-il vraiment apporter quelque chose? Mon énergie va-t-elle au bon endroit? La stratégie que j’applique a-t-elle une chance de peser sur le rapport de force?).

Gagner, c’est possible. Des victoires arrivent en ce moment. Dans les quartiers, sur les lieux de travail, des rapports de force s’installent et sont remportés. Mais ça demande du travail, beaucoup et sur le temps long: s’organiser avec les gens autour de soi, convaincre personne après personne, identifier les cibles à faire plier, bâtir des moyens de pression. Gagner n’est pas une question d’argument, c’est une question de rapport de force. On ne gagnera pas en se modérant, car qui voudrait soutenir un projet fade et sans âme? On ne gagnera pas sans montrer clairement aux gens que leur vie peut concrètement s’améliorer s’iels nous rejoignent; car on ne gagnera pas pour les gens mais avec elles et eux. Il ne s’agit pas de rejoindre telle organisation ou parti qui aurait le remède miracle, il s’agit d’arrêter de s’enfermer dans sa routine et de commencer à penser stratégiquement: que veut dire gagner? Comment puis-je y arriver?

Je n’ai pas connu beaucoup de victoires, mais je veux en connaître. Et vous aussi. Mettons-nous au travail, les occasions ne manquent pas.

Aurélien Baud, étudiant et militant

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