De l’abbé Pierre au procès de Mazan
Le 17 juillet, quand j’ai entendu à la radio que l’abbé Pierre était dénoncé par sept femmes pour harcèlement sexuel, ma réaction fut: «Non! Pas lui! pas l’homme de l’appel de l’hiver 1954!» Mais à aucun moment, je n’ai mis en doute la parole de ces femmes. Certain·es se sont demandé pourquoi elles s’expriment si tard. Comment auraient-elles pu accuser un demi-dieu? Certaines ont essayé, on les a fait taire. Puis début octobre, il y eut d’autres révélations, par 17 nouvelles victimes. Mais comme les faits se sont passés sur plus d’une trentaine d’années, de 1970 à 2005, il doit y en avoir beaucoup d’autres, y compris des mineures, dont la plus jeune aurait eu 8 ans.
Comme toujours, dans ces cas de harcèlement et de viol à répétition, l’entourage était au courant, mais l’omerta régnait. Pour l’abbé Pierre, non seulement la famille savait, mais aussi Emmaüs et l’Eglise catholique, qui s’entête à imposer le célibat aux prêtres, engendrant ainsi des cohortes d’hommes frustrés.
Ces révélations ont sidéré le monde. Puis s’est ouvert le procès de Mazan, le 2 septembre à Avignon. Durant près de dix ans, de juillet 2011 à octobre 2020, une femme, Gisèle Pélicot, a été droguée à son insu par son mari, Dominique Pélicot, et violée par des hommes qu’il recrutait sur un site de rencontres. En plus du mari, qui filmait les scènes de viol et notait tout dans ses carnets, 50 individus sont également appelés à la barre. La courageuse Gisèle a tenu à ce que ce procès soit public et les vidéos projetées, afin que la honte change de camp. Elle est chaque jour accueillie par une haie de personnes qui l’applaudissent.
Les Weinstein, Strauss-Kahn, Depardieu, Miller sont à l’évidence des prédateurs, des pervers et des malades. Dominique Pélicot fait partie de cette catégorie. Depuis 1999, il est mis en cause dans diverses affaires de viol non élucidées et avait l’habitude de filmer l’entrejambe de femmes, à leur insu, dans les supermarchés. C’est d’ailleurs comme cela qu’il a été appréhendé. En perquisitionnant chez lui, les policiers dénombrent 83 violeurs potentiels, parmi lesquels 54 sont identifiés (les 51 prévenus du procès, un 52e décédé entre-temps et deux autres relâchés, faute de preuve).
Qui sont-ils? Des hommes «ordinaires», âgés de 22 à 67 ans au moment des faits, venant tous de la même région que le couple. Trente-sept accusés sont pères de famille, quatre sont retraités, sept sans emploi, six chauffeurs routiers, douze exercent un métier manuel, deux sont informaticiens; étonnamment, certains ont une fonction d’utilité publique: pompier, militaire, gardien de prison, journaliste, conseiller municipal. Dix se sont rendus plusieurs fois chez les Pélicot. Ces accusés sont sans pathologies psychiques, mais nourrissent un sentiment de «toute-puissance» sur les corps féminins. Treize ont déclaré avoir une addiction à l’alcool ou aux drogues. Treize, dont Dominique Pélicot, ont été violentés pendant l’enfance. Vingt-trois ont déjà été condamnés par la justice, dont huit pour violences sexuelles. Cinq accusés sont mis en examen pour détention d’images pédopornographiques retrouvées au cours de l’enquête. Malgré les preuves accablantes, certains des prévenus se déclarent non coupables. La plupart n’ont pas inclus la notion de consentement dans leur système de pensée…
Ces affaires révèlent la profonde misogynie de la société. Les femmes ne sont pas considérées comme des personnes, mais comme de la chair à consommer. Certes, tous les hommes ne sont pas des violeurs, mais la très grande majorité sont complices de la normalisation des violences sexuelles. Qui n’a pas colporté des blagues sexistes, qui n’en a pas ri? Qui n’a pas coupé la parole à une femme en considérant qu’elle ne vaut rien? Combien ont été témoins de harcèlement sexuel et n’ont rien fait, rien dit?
Enfin, où sont les hommes respectueux qui prônent et vivent l’égalité? Pourquoi ne les entend-on pas lorsque ces affaires éclatent? Pourquoi n’œuvrent-ils pas à ce que la honte change de camp?
* Ecrivaine, Perly (GE).