Enfin changer de lorgnette!
Dans sa riposte contre les prises d’otages et les massacres perpétrés par le Hamas il y a une année, Israël s’est trompé de cible: au lieu d’«éradiquer» le groupe armé, c’est toute la bande de Gaza que son armée a dévastée. Certes Israël était en droit de répondre aux attaques odieuses du Hamas pour assurer la sécurité de sa population – un mandat d’arrêt a d’ailleurs été requis par la Cour pénale internationale (CPI) contre ceux qui les ont commandités. Cela étant, l’objectif légitime de neutraliser la branche militaire du mouvement islamiste a été poursuivi au mépris total de la population civile palestinienne. Israël s’est lancé à corps perdu dans une guerre caractérisée par la déshumanisation constante des Palestinien·nes et un mépris éhonté du droit international humanitaire.
L’assaut israélien a provoqué des dizaines de milliers de morts et blessé davantage de personnes – avec son lot de massacres atroces d’humanitaires, de femmes et d’enfants par milliers, la destruction à large échelle d’infrastructures essentielles, des villes entières rasées et des vagues successives de déplacements forcés. Cette guerre a rendu la bande de Gaza pratiquement invivable, aggravant une situation déjà désastreuse due au blocus illégal de Gaza imposé par Israël depuis dix-sept ans. Dans le même temps, l’Etat hébreu a intensifié sa campagne d’oppression contre les Palestinien·nes en Cisjordanie occupée, à coup d’opérations militaires meurtrières accompagnées de dommages considérables aux infrastructures civiles, d’exécutions illégales, d’une escalade des arrestations arbitraires, de tortures et d’autres mauvais traitements.
Ces faits ont été étayés par les instances les plus crédibles de notre ordre international qui ont conduit leurs propres investigations et ont à plusieurs reprises rappelé Israël à l’ordre. En janvier, la Cour internationale de justice avait qualifié de «plausible» le risque de génocide à Gaza, exigeant d’Israël et de tous les Etats qu’ils garantissent l’accès de l’aide humanitaire à Gaza. En mai, c’était au tour de la CPI de requérir un mandat d’arrêt contre le premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant pour crimes de guerre. Tandis que la dernière assemblée générale des Nations unies adoptait le 18 septembre une résolution exigeant qu’Israël mette fin à sa présence illégale dans le territoire palestinien occupé – terreau de tous les conflits depuis si longtemps.
La guerre à Gaza a également conduit des voix juives à condamner la politique israélienne et à plaider en faveur d’un engagement décidé de la Suisse sur le terrain humanitaire. Dans un appel lancé en février au nom des artistes suisses – le deuxième depuis le début du conflit –, les cinéastes juifs Jacob Berger et Stina Werenfels dénonçaient courageusement le projet israélien «d’anéantissement de tout un peuple, ainsi que l’effacement de toute trace de son existence, passée ou présente»1appeldesartistes.ch/ (un 3e appel a été lancé en septembre dernier, ndlr). et la complaisance de la Suisse aux positions extrémistes de l’Etat israélien.
Pourtant, une partie de nos élu·es et de nos hauts fonctionnaires s’obstine à voir la situation uniquement à travers le prisme des besoins sécuritaires d’Israël. Pire, il s’est opéré un glissement selon lequel le soutien à la population civile de Gaza rimerait avec un potentiel soutien au «terrorisme». Début septembre, le Conseil national décidait que les contributions suisses à l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens (UNWRA) devaient être suspendues, le dossier doit encore être discuté en décembre au Conseil des Etats. En mai, le Conseil fédéral avait pourtant décidé d’octroyer 10 millions de francs à l’UNWRA après d’interminables tergiversations parlementaires. La Suisse s’est aussi abstenue de voter la résolution onusienne du 18 septembre, jugeant qu’elle allait trop loin.
Alors que le conflit se propage au Liban, il est urgent de changer de lorgnette. L’UNWRA est responsable de l’éducation et de l’approvisionnement de millions de réfugié·es palestinien·nes dans la bande de Gaza ainsi qu’en Cisjordanie occupée et dans les pays voisins: Liban, Syrie et Jordanie. La Suisse a été mandatée par l’ONU pour organiser une réunion sur le conflit au Proche-Orient dans les six prochains mois. D’où la nécessité absolue pour elle d’honorer sa tradition humanitaire et – espérons-le – de trouver le courage de réaffirmer son soutien aux seules solutions pour une issue à ce conflit: un cessez-le-feu immédiat et un retrait d’Israël du Territoire palestinien occupé.
Notes
* Porte-parole d’Amnesty International Suisse.