Sur la route vers les Etats-Unis: violences, précarité et désespoir
La question migratoire semble toujours se développer au sein de logiques électoralistes et catalyser les peurs xénophobes. En réalité, elle est désaffiliée des difficultés que rencontrent des personnes souvent en grande précarité et exposées à de multiples formes de violences. Dans un rapport publié au printemps dernier, intitulé «Violence, désespoir et abandon sur les routes migratoires d’Amérique centrale», Médecins sans frontières (MSF) souligne l’impact des politiques discriminatoires sur la santé et la sécurité des personnes migrantes, après avoir effectué plus de 67’000 consultations médicales et psychosociales au Honduras, Guatemala et Mexique en 2023. Plus de la moitié des patient·es sont originaires du Venezuela et 10% d’Haïti.
Pathologies de la précarité. Comparativement à l’année précédente, MSF a pu constater la présence accrue de familles entières sur les routes migratoires et une augmentation de plus de 30% du nombre d’enfants de moins de cinq ans. L’absence d’accès à des produits de première nécessité tels que l’eau potable, la nourriture ou des abris décents fragilise ces populations exposées par ailleurs à de nombreuses violences, tant physiques que psychologiques. L’interruption des traitements liés à des maladies chroniques, notamment le diabète et l’hypertension, a également des effets dévastateurs, alors que d’autres patient·es sont porteurs d’affections respiratoires et gastro-intestinales. Les enfants de moins de cinq ans ont une couverture vaccinale insuffisante, les rendant vulnérables à un ensemble de pathologies infectieuses. Enfin, et sur les 3800 consultations en santé mentale dispensées par l’organisation, 48% des patient·es souffrent de stress aigu, 12% de dépression, et 8% de stress post-traumatique. La violence est mentionnée comme la source essentielle de la souffrance psychique dans plus de la moitié des cas, et pour un tiers des personnes, elle résulte de la séparation voire de la perte d’un être cher.
Des violences multiples. L’exposition à des violences aiguës demeure fréquente sur la route migratoire et constitue aussi l’un des motifs principaux motivant le départ du pays d’origine, comme souligné dans un précédent rapport de MSF intitulé «No way out», qui évoque notamment la crainte des parents de voir leurs enfants recrutés par des gangs. Extorsion, traite d’êtres humains, exploitation sexuelle voire enlèvement touchent des personnes particulièrement vulnérables et ont un impact sur l’ensemble de la famille. Des formes de violences ont ainsi été intériorisées par les populations en situation migratoire, notamment le vol, et certaines personnes indiquent transporter des sommes d’argent en prévention d’une attaque éventuelle.
A leur arrivée aux Etats-Unis, elles sont souvent soumises à des conditions de détention déplorables: absence de chauffage, de nourriture, de vêtements, manque de sommeil, mauvais traitements. Des menaces, propos xénophobes et discriminants sont également rapportés, ainsi que des abus de pouvoir par des agents de la sécurité et de la migration. Ces actes ne faisant généralement pas l’objet de plainte, l’impunité reste totale. Impunité également pour les auteurs de violences sexuelles: sur les 232 victimes soignées par MSF, plusieurs rapportent des agressions commises par des autorités censées les protéger, notamment au nord du Guatemala et au Mexique. Ces cas ne constituent qu’une infime partie des violences de ce type, tant le risque de stigmatisation ou de représailles reste élevé.
Entre janvier et août 2024, MSF a soigné 878 victimes de violences sexuelles, soit 280% de plus qu’en 2023. Enfin, l’accès à des soins de santé pour ces personnes reste lacunaire, elles ne peuvent donc pas bénéficier de traitements appropriés visant à réduire le risque de contracter une maladie sexuellement transmissible: seulement 10% d’entre elles ont pu recevoir à temps des anti-rétroviraux afin de prévenir le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Urgences invisibles. L’année dernière a vu un nombre record de personnes empruntant les routes menant de l’Amérique du Sud aux Etats-Unis. Plus de 500’000 personnes ont ainsi traversé la jungle du Darién, à la frontière de la Colombie et du Panama, ce qui constitue une augmentation de 109% par rapport à 2022. Les écrans de fumée politiciens et les rhétoriques populistes ne sauraient masquer la réalité des conditions de vie de ces personnes qui, fuyant des violences insoutenables dans leur pays d’origine, en subissent d’autres lors de leur parcours et de leur arrivée. Il est crucial qu’une aide médicale, psychologique et logistique soit déployée tout au long de leur itinéraire, incluant des mesures de protection adéquates, afin de les prémunir d’une insécurité à laquelle elles sont constamment exposées.
Françoise Duroch est responsable de l’Unité de recherche en enjeux et pratiques humanitaires à MSF.
Silvia Dalla Tomasina est directrice générale adjointe de MSF Mexique.