«La Confédération doit assumer le pilotage»
Le 26 septembre, le Conseil des Etats doit prendre une décision importante: il s’agit de poursuivre la Plateforme nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et d’élaborer une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Afin d’agir de manière sérieuse contre la pauvreté, la Suisse doit se doter de ces deux instruments.
La Suisse fait partie des pays les plus prospères de la planète. Elle occupe la première place dans l’indice de développement humain de l’ONU. On pourrait croire que dans notre pays tout le monde a suffisamment d’argent pour vivre. Malheureusement, la réalité est tout autre. Caritas n’a jamais eu autant de demandes de consultation sociale. Des familles, des familles monoparentales, des personnes seules, des jeunes et des moins jeunes viennent nous voir parce qu’elles ne savent plus comment s’en sortir. Ils et elles ne savent pas comment payer leurs primes d’assurance-maladie, assumer la hausse des loyers et, plus généralement, l’augmentation du coût des denrées alimentaires. Dans nos Epiceries Caritas, où les personnes qui disposent d’un très petit budget peuvent acheter des produits à des prix fortement réduits, la demande a augmenté de 30% ces deux dernières années, ce qui n’est pas de bon augure.
La riche Suisse a un problème de pauvreté. Dans notre pays, une personne sur six est touchée ou directement menacée par la pauvreté. On peut travailler beaucoup sans pour autant réussir à joindre les deux bouts. Dans ce cas, on doit parfois choisir à la fin du mois entre payer ses factures ou manger. Malgré des douleurs, certaines personnes renoncent à des soins médicaux ou dentaires. Des parents voient leurs enfants s’isoler socialement parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de leur offrir des activités de loisirs avec des jeunes de leur âge. Il est prouvé que ces enfants ont moins de chances que les autres de réussir leur parcours scolaire.
En Suisse, le monde politique a toujours du mal à agir de manière ciblée contre la pauvreté. Encore tout récemment, la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des Etats s’est prononcée en faveur de l’élaboration par la Confédération d’une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Il faut s’en féliciter, car la Confédération ne doit pas laisser la lutte contre la pauvreté aux seuls cantons et communes. Elle doit assumer un rôle de pilotage et de coordination, définir des normes et des conditions-cadres. Mais dans la foulée, la même commission propose au Conseil des Etats de mettre fin à l’action de la Plateforme nationale contre la pauvreté. Le Conseil des Etats prendra sa décision le 26 septembre, le Conseil fédéral d’ici la fin de l’année. C’est un peu comme si une personne planifiant les transports disait: nous allons construire un nouveau pont moderne, répondant aux besoins, pour enjamber la rivière. La première étape est de démolir le pont existant. Nous penserons plus tard à planifier la nouvelle structure, et à réfléchir à son financement.
Cette plateforme est un élément porteur de la lutte contre la pauvreté en Suisse. Elle permet à tous les niveaux de l’Etat, aux employeurs, aux employé·es et à la société civile d’œuvrer ensemble dans le même sens. Elle a permis de réaliser de nombreux travaux de recherche importants, et donc d’acquérir des connaissances, et elle a déjà fourni les bases d’une lutte ciblée contre la pauvreté. Suspendre cet engagement de la Confédération dans la lutte contre la pauvreté serait un affront pour les 1,3 million de personnes qui, elles, luttent tous les jours contre la pauvreté. Cela voudrait dire que la Confédération se désintéresse de cette réalité. Un déshonneur pour un pays qui occupe la première place du classement de l’ONU en matière de développement humain.
* Directeur de Caritas Suisse, membre du groupe de pilotage de la Plateforme nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.