Habitat: la Codha fête ses 30 ans
Comment le modèle de gouvernance de la Codha a-t-il évolué au fil de son développement? Quelle est l’influence de la taille de la coopérative sur son degré de participation? Après trente ans d’histoire, l’expérience de la coopérative de l’habitat associatif a beaucoup à nous apprendre. Nous avons rencontré trois membres de son équipe de direction: Guillaume Käser et Eric Rossiaud, tous deux responsables de la maîtrise d’ouvrage, ainsi que Mauro Bellucci, responsable de la gestion des immeubles.
«La coopérative est créée en 1994 à Genève suite à la rencontre de plusieurs squats et coopératives d’habitation en gestation. Rapidement, la conclusion de ces discussions est unanime: l’idée de l’habitat associatif – synonyme de coopérative participative à l’époque – n’a aucune perspective de développement», explique Eric Rossiaud. Sans se décourager, une équipe de militant·es crée le Graal (Groupement pour la promotion de l’action associative en matière de logement) qui organise un cycle de conférences autour de l’habitat associatif et invite des acteurs de toute l’Europe. Dans la foulée, le Graal donne naissance à une coopérative d’habitation, dont les statuts sont inspirés de ceux de la coopérative zurichoise Wogeno. Ainsi est née la Codha.
De l’expansion aux limites de l’autogestion
La jeune coopérative est vite confrontée à la réalité de l’immobilier genevois: le temps de construction est trop long par rapport aux projets de vie des coopératrices et coopérateurs. Dès lors, elle souhaite raccourcir le délai entre le moment où la personne s’inscrit et le moment où elle peut emménager. Désormais, la Codha se définit comme une faîtière pour des «associations d’habitant·es», dont le fer de lance est le «bail associatif». Composée de professionnel·les, le comité travaille directement pour les membres afin de construire et rénover plusieurs immeubles.
Quelques chiffres
1995: la Codha compte 12 logements, un immeuble et une association d’habitant·es et 100 membres;
2022: 761 logements, 20 immeubles, 6090 membres, dont 1090 inscrit·es dans un projet en cours et 3815 sur liste d’attente;
2024: 834 logements, 21 immeubles, 7000 membres, dont 1200 inscrit·es dans un projet et 4400 sur liste d’attente. CSÉ
«Au départ, le comité et les personnes qui travaillaient étaient les mêmes, on a eu pendant longtemps un comité de militants, réunissant heureusement de nombreuses compétences: économiste, architecte, juriste, travailleurs sociaux… Un constat: le cadre juridique n’était pas propice au développement de l’habitat coopératif et participatif», confie Eric Rossiaud. A force de ténacité, la Codha a fini par faire entrer le bail associatif dans la loi générale sur le logement (LGL). «Par la suite, nous nous sommes également battus pour l’existence du logement en catégorie habitation mixte (HM), afin que le logement coopératif puisse accueillir tout type de population». En pratique, l’idée du bail associatif était de louer un immeuble à une association d’habitant·es qui s’occupe de sa gestion technique et administrative, en totale autonomie. Cette recette, qui a fonctionné pendant un temps, a aussi montré ses limites.
Afin de centraliser la répartition des terrains en droit de superficie (DDP) fournis par l’Etat, huit coopératives s’organisent et donnent naissance en 1999 au Groupement des coopératives d’habitation genevoises (GCHG). La Codha obtient alors plusieurs terrains: les Ouches (27 logements), les Voirets-Mill’o (10 logements) et le Pommier (36 logements). Pendant dix ans, la coopérative se développe avec une équipe de militant·es qui œuvrent bénévolement.
Cependant, vers 2010, le système de bail associatif se grippe: les membres prennent d’assaut le bureau, l’autogestion totale épuise! En effet, il n’est pas facile de demander à son voisin de payer un loyer en retard, de procéder à l’état des lieux d’une voisine, ou même de signer un devis à cinq chiffres pour la réparation d’une chaudière… Les habitant·es se sentent submergés et déclarent ne pas avoir ni la distance, ni les compétences nécessaires.
«On a reprécisé le contrat de gestion associative et on a commencé à faire une gestion à la carte. Nous avons donc proposé aux associations de percevoir les loyers à leur place», développe Mauro Bellucci. Les associations d’habitant·es gardent néanmoins une certaine autonomie. En effet, le rôle du concierge est séparé en deux fonctions: le nettoyage et la conciergerie sociale. «Nous avons créé des postes de coordinatrice·teur d’immeuble dont le rôle consiste à rapporter les problèmes techniques ou humains avant qu’ils prennent trop d’ampleur», explique M. Bellucci. «En termes de gouvernance, c’est un vrai relais. Ils et elles peuvent répondre à toutes les questions d’ordre associatif, mais aussi technique».
Refonte de la charte participative
A la même période, la coopérative reçoit des terrains avec un nombre important de logements à construire – DDP dans l’écoquartier de la Jonction – qui la font passer dans la cour des grands. Le comité comprend vite qu’il faut s’organiser autrement: désormais, la Codha fait la régie, la banque, et rembourse l’hypothèque. Les militants se muent en équipe de direction qui engage progressivement des collaborateur·trices. Des cahiers des charges sont rédigés pour chaque activité: gestion pour les nouveaux projets, gestion locative du parc existant, la mission est de taille. Le comité de la Codha est désormais composé de 15 personnes, 10 coopératrice·eurs, logés et non logés, ainsi que des cinq personnes de l’équipe de direction. Ces dernières ne participant pas aux discussions sur le budget ni au vote de celui-ci.
Avec ce changement d’échelle dans les projets, la pratique de la participation est requestionnée. Alors même que le modèle participatif initial de Wogeno a été abandonné depuis longtemps par les Zurichois, la Codha procède à la refonte de sa charte participative. En effet, si la coopérative rencontrait à ce moment-là toujours autant d’adhésions, des membres ressentaient un manque de clarté entre ce qui est d’ordre utopique et la réalité: «On m’a fait rêver sur tel ou tel aménagement possible et, à la fin, on me dit que techniquement c’est impossible. Ce n’est pas de la participation», s’insurgeaient certains. De fait, le processus existant «générait autant d’enthousiasme que de déception», confie Guillaume Käser: «On est dans le domaine de l’immobilier, et dans ce domaine, il y a des contraintes légales, techniques et budgétaires. Tout cela prend beaucoup de temps.»
Rédigée en 2013, la nouvelle charte vise à séparer clairement les responsabilités. Dans la phase projet, les futur·es habitant·es sont invité·es à s’exprimer par thématiques précises. Cependant certains choix stratégiques sont laissés à l’architecte ou au comité. «Par exemple, les habitant·es ne sont pas consulté·es concernant les normes environnementales», précise Eric Rossiaud.
L’équipe de direction supervise les trois entités principales de la coopérative: 1) le pilotage de projet/maîtrise d’ouvrage, dont trois assistant·es à la maîtrise d’ouvrage délégués aux divers processus de participation; 2) l’administration générale, la gestion des membres et la comptabilité et 3) la gestion d’immeubles: l’équipe de gestion technique et locative est complétée par deux personnes qui s’occupent spécifiquement de la coordination associative.
Simultanément, la participation s’organise à travers divers groupes de travail au sein de chaque association d’habitant·es: GT potager, GT espaces communs, GT mobilité, GT cuisines, GT gouvernance, GT fête…
Pour faciliter la participation à l’échelle d’une grande coopérative, la Codha crée en 2018 un outil de la participation en ligne. La Plateforme numérique de la participation (PNP) est développée sur-mesure pour les associations d’habitant·es. Ce logiciel est une boîte à idées interactive, on y trouve des agendas partagés, on peut y lancer des évènements et s’y inscrire, réserver des espaces communs, partager des objets… La PNP est également utilisée dans la phase projet. De plus, cet outil facilite la gestion des incidents et problèmes techniques concernant la gestion des immeubles.
Le comité a eu la volonté d’ouvrir la réflexion à ses 7000 membres, même à ceux et celles qui n’ont pas de logement. Dès lors, plusieurs commissions ont été créées. La commission de la transition écologique discute les avantages/inconvénients de choix énergétiques constructifs et donne des recommandations à la maîtrise d’ouvrage. La commission projets associatifs a pour but de favoriser la convivialité: des pièces de théâtre au maraîchage. La commission participation initie des réflexions en lien avec la gouvernance. Chaque année, la réunion de l’ensemble des immeubles permet à chaque association d’échanger et faire un bilan sur l’année écoulée.
L’essor se poursuit
«On a souvent travaillé d’abord, et élaboré la théorie après», explique Guillaume Käser. «Nous avons vu les problèmes émerger, ensuite nous les avons intégrés dans la nouvelle charte, en élaborant les moyens permettant de les résoudre. Adhérer à cette charte est la condition pour s’inscrire à la Codha. Maintenant le dialogue est apaisé, parce que le discours est plus clair.» Partie d’une vision militante qui soutient l’autogestion maximale, la coopérative a dû faire évoluer son modèle de gouvernance pour s’adapter aux besoins actuels des habitant·es. Aujourd’hui, son essor se poursuit, avec l’ouverture d’une antenne dans le canton de Vaud en 2019. Parions que la Codha saura s’adapter aux futurs changements climatiques, sociétaux, avec résilience et dans un esprit démocratique.
Architecte EPFL, Charlotte Schusselé est membre du Groupement des coopératives d’habitation genevoises (GCHG) et de la Commission consultative cantonale pour l’aménagement du territoire (CAT).
Article paru dans Habitation, revue de la faîtière des coopératives romandes.
* Pour fêter ses 30 ans, la Codha organise un week-end festif et riche en activités. Au programme: animations, films, concerts, conférences, expositions et activités ludiques pour petits et grands. Rendez-vous sa. 28 septembre dès 13h et di. 29 septembre de 11h à 18h au Pavillon Sicli, 45, route des Acacias, Genève. Programme détaillé: www.codha.ch/fr/actualites-fete-des-30-ans-de-la-codha