«Moins de vacances scolaires pour plus de qualité de vie»
Parallèlement aux discussions médiatiques et politiques autour du calendrier des vacances scolaires estivales liées à la hausse exponentielle des températures s’impose une réflexion historique allant à contresens des solutions proposées.
La démission des autorités face aux lobbies fossiles rend vaine l’extension sans fin de la longue trêve de la saison chaude. A l’horizon 2050, voire 2040, les canicules se déploieront probablement de mai à octobre. Seules la poursuite de l’isolation massive et urgente des bâtiments ornés d’immenses vitrages-étuves, en priorité les salles orientées sud et sud-ouest, ainsi que l’impérative arborisation des préaux augurent d’une relative adaptation à l’inéluctable catastrophe. Au Pays de Vaud, les vacances passent de 8 semaines en 1865, date de création du Département de l’instruction publique et – adjonction significative – des cultes, à 10 (1906) puis 12 (1960) et enfin 14 (2004), fixées par les commissions scolaires communales. Le règlement de 1907 montre l’exemple en matière d’économies d’énergie en instaurant un minimum et un maximum de 14 et de 18°C.
Dans les débats actuels, on s’étonne de la non-prise en considération de l’origine des vacances scolaires et, partant, de leur signification aujourd’hui. Celles-ci correspondent à l’origine aux nécessités agricoles (semailles, fenaison, moissons, vendanges, etc.) et revêtent une forte dimension religieuse. Dans un canton alors encore largement rural, la première loi sur l’école primaire (1865) étale les cours de la Saint-Martin à Pâques, période du retour à la terre. La révision de 1899 autorise une dispense d’enseignement du 15 avril au 1er juin et de possibles vacances supplémentaires jusqu’au 1er novembre. La loi de 1930 recommande de tenir compte des «intérêts de l’école, des circonstances locales, particulièrement des travaux des champs», avec des mesures spéciales pour les régions de montagne. La rentrée scolaire ne s’effectue-t-elle pas symboliquement non en août mais à la Résurrection [Pâques] jusqu’en 1972? – Lucerne, bien que très catholique et paysan, faisant office de pionnier en 1964 et Vaud, mettant une commission sur pied à cette date, qui prendra donc tout son temps. Or de nos jours les églises sont vides et les agriculteurs ne forment plus que 2% de la population. Noël rime avec Seychelles, Pâques avec tarmac, Ascension avec bouchons, Pentecôte avec le groupe Marriott. Instauré à la fin du XVIIIe siècle pour prier que la menace révolutionnaire ne s’abatte pas sur la Confédération, le Jeûne fédéral ne constitue, lui, qu’une relique anachronique de l’Ancien Régime.
L’histoire permet donc d’interroger le sens même des vacances, selon une double perspective. L’écologie d’une part, vu les millions de tonnes de CO2 engendrées par les déplacements aéronautiques ou routiers lors de ces pauses régulières: les professeurs de l’EPFL Sascha Nick et Philippe Thalmann ont calculé qu’il fallait diviser par 7 le nombre de vols pour être dans les clous illusoires de l’accord de Paris (Journal of Risk Management, 2022). La qualité de vie d’autre part, d’aucuns – élèves comme corps enseignant – faisant état d’une fatigue chronique allant jusqu’à l’épuisement professionnel et témoignant de la nécessité de vacances régénératrices. Il s’agit d’examiner l’opportunité de réduire à 7 ou 8 le nombre de semaines de vacances et d’alléger à hauteur d’environ 15% (3-4 périodes pour un plein temps, 5 ou 6 pour les élèves du gymnase, davantage à l’échelon obligatoire) un horaire saturé en l’annualisant proportionnellement aux heures ainsi diluées.
De quoi terminer les cours à la mi-journée de mai à septembre, et éviter des températures peu propices au travail en classe. Pareille mesure soulagerait de beaucoup le casse-tête parental actuel de la garde des jeunes enfants durant les vacances. L’occasion aussi pour l’Etat de développer l’accueil parascolaire, avec le soutien des entreprises. Enfin cela inciterait jeunes et adultes à retrouver une sociabilité de proximité (voisinage et camarades de quartier plutôt qu’une dispersion pluriannuelle urbi et orbi) compensant l’individualisme numérique: une étude de Viji Kannan et Peter Veazie (SSM Popul Health, 2022) indique que le temps moyen passé quotidiennement entre amis chez les 15-24 ans aux Etats-Unis s’est effondré de 150 à 45 minutes entre 2003 et 2020.
«Quand on s’enferme dans le présent, (…) on ne peut plus penser des futurs», rappellent Laurence De Cock, Mathilde Larrère et Guillaume Mazeau dans L’histoire comme émancipation (Agone, 2019). Loin de se limiter au passé, l’histoire permet la critique du monde contemporain et d’envisager d’autres possibles sociétaux – ici une décroissance qualitative appliquée dans un premier temps au monde scolaire.
Grégoire Gonin est historien, Lausanne.