Pour éviter la catastrophe climatique, il faut retirer du CO2 de l’atmosphère. Le constat est unanime, mais les pratiques questionnent. La Suisse a commencé à exporter son dioxyde de carbone, avec des projets pilotes, pour le figer dans des roches en Islande. Elle se prépare aussi à le stocker dans les fonds marins.
Le Conseil fédéral veut capturer et stocker les émissions qu’il considère «difficilement évitables», même une fois toutes les autres mesures pour le climat prises. Il les évalue à 12 millions de tonnes d’équivalents CO2 par an dès 2050, issues par exemple de l’incinération des déchets ou des cimenteries. Berne juge essentiel d’accéder à des réservoirs étrangers pour atteindre l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre. L’exploration du sol suisse pour un éventuel stockage dans le pays n’en est qu’à ses balbutiements. «Cela pourrait être opérationnel au plus tôt dans quinze à vingt ans, pour autant que l’exploration du sous-sol soit concluante», avance prudemment Robin Poëll, porte-parole de l’Office fédéral de l’environnement.
Projet pilote en Islande
Pour l’instant, seules des quantités minimes de CO2 sont capturées en Suisse, «inférieures à 1000 tonnes» selon l’OFEV. Une partie est stockée dans du matériel de construction. Un projet pilote transporte en Islande le CO2 de la station d’épuration ARA Bern, en camion, train et bateau. Et l’automne dernier, la Suisse a levé les obstacles juridiques pour un stockage dans les fonds marins. Car toute exportation de déchets en vue de leur élimination en mer est interdite par le Protocole de Londres. Le Conseil fédéral a alors ratifié un amendement, qui crée une exception pour le CO2. «Des accords internationaux doivent encore être conclus avec les pays de stockage», indique Robin Poëll. Pour l’instant, des déclarations d’intention ont été signées avec la Norvège, la Suède, l’Islande et les Pays-Bas, qui créent de gigantesques projets de stockage en mer.
Parmi eux, le projet norvégien, Northern Lights, est détenu par les groupes pétroliers TotalEnergies, Equinor et Shell. Ceux-ci créent une infrastructure de transport de CO2 liquéfié. Le gaz sera expédié par bateau puis par pipeline. Ses capacités d’enfouissement sont évaluées à 1,5 million de tonnes de CO2 par an, puis 5 millions à terme. Une paille, comparé aux besoins: l’Union européenne estime qu’elle devra séquestrer au moins 50 millions de tonnes de gaz carbonique par an d’ici à 2030. La course au stockage est inévitable.
Les grandes organisations de défense de l’environnement sont divisées
En Suisse, aucune voix ne s’est élevée sur le plan politique contre ces perspectives de séquestration de CO2 à l’étranger. Les grandes organisations de défense de l’environnement sont divisées. Greenpeace appelle à se concentrer avant tout sur les mesures de réduction de CO2 et sur les méthodes de captage de CO2 naturelles (l’épandage de charbon végétal sur les terres agricoles par exemple). «L’exportation de CO2 doit être une solution de dernier recours, si l’on constate que tout le reste ne fonctionne pas. Les objectifs de réduction de la Confédération ne sont pas assez ambitieux», juge Nathan Solothurnmann, expert des questions climatiques à Greenpeace.
Risques en mer du Nord
Il ne voit pas de risque particulier avec la méthode de stockage en Islande, où le CO2 est pétrifié au contact du basalt et conservé sous forme solide. La séquestration en mer du Nord l’inquiète davantage. Le CO2 sera injecté sous haute pression dans des cavités rocheuses sous la forme d’un super fluide. «La mer du Nord est trouée comme un fromage à cause de multiples activités de forages pétroliers. On ne sait pas si le CO2 restera dans sa cavité ou risque de ressortir», relève Nathan Solothurnmann.
Le WWF reconnaît de son côté le manque de recul sur les méthodes de stockage mais estime que l’urgence climatique ne nous laisse plus le choix. «Si nous pouvions convaincre les gens d’arrêter d’utiliser du ciment et de produire des déchets, nous pourrions y renoncer. Mais on n’en est pas là et nous avons besoin de solutions pour les secteurs où les émissions sont difficiles à éviter», défend Patrick Hofstetter, expert en protection du climat. Le WWF soutient le stockage en Suisse, comme l’exportation, afin d’éviter au plus vite que plusieurs millions de tonnes de CO2 continuent à s’échapper dans l’atmosphère et provoquent des catastrophes sans précédent. «Le plus dangereux serait de ne rien faire. Nous devons tester au plus vite ces technologies pour savoir si elles fonctionnent ou non», conclut Patrick Hofstetter.