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Quand les hôtes deviennent un fardeau

Le débat sur les répercussions négatives du tourisme s’est à nouveau enflammé ces dernières années. Ce «surtourisme», étroitement lié au tourisme urbain en Europe et dont les causes, multiples, ont été identifiées, ne découle cependant pas seulement du nombre de voyageurs et de voyageuses. Explications.
Quand les hôtes deviennent un fardeau
Il n’y a guère d’endroits où les conséquences de la surcharge touristique sont plus concentrées qu’à Venise. Plus de dix millions de personnes visitent la ville lagunaire chaque année. KEYSTONE/Christian Beutler
Tourisme

La discussion sur les conséquences du tourisme a gagné en intensité ces derniers temps autour du concept de «surtourisme» ou d’«overtourisme». Celui-ci est étroitement lié au tourisme urbain en Europe. Il est apparu vers 2017 avec les actions de protestation de la population locale à Barcelone ou encore à Venise. Il n’a cependant pas de définition globalement reconnue.

Repères

3% Telle a été en Europe la contribution du tourisme au produit intérieur brut en 2021. En 2019, cette part s’élevait encore à 4,3% , atteignant même près de 12% chez le leader, la Croatie.

965 millions de touristes ont voyagé dans le monde en 2022. En 2019, ils étaient 1,5 milliard.

1,4 billion de dollars américains, C’est le montant attendu des recettes du tourisme international pour 2023. En 2019, il s’élevait encore à 1,5 billion.

2,2 millions de lits touristiques ont été dénombrés en Italie en 2021, ce qui en fait le leader en Europe.

5€ d’entrée. C’est le montant que Venise entend à l’avenir faire payer aux touristes d’un jour. La cité teste cette taxe pendant 29 jours en 2024 avant son introduction générale en 2025.

L’Organisation mondiale du tourisme (OMT) des Nations Unies le définit comme «l’impact du tourisme sur une destination ou une de ses parties lorsqu’il a une influence extrêmement négative sur la qualité de vie des habitants et/ou la qualité de l’expérience des visiteurs». Paul Peeters, spécialiste en tourisme à l’Université des sciences appliquées de Breda (NL) met, lui, l’accent sur le dépassement des limites de capacité aussi bien physiques, écologiques que sociales.

Le nombre élevé de touristes fait certainement partie des caractéristiques les plus frappantes du surtourisme. Mais il ne doit pas être mis sur le même pied que le tourisme de masse, relève le rapport final d’une récente étude de la Commission européenne, ce phénomène pouvant être mieux compris en termes relatifs qu’absolus. Ainsi, certaines destinations parviennent à gérer un grand afflux de visiteurs et de visiteuses, alors que des destinations plus petites ou récentes ou situées dans des régions de montagne atteignent souvent leurs limites.

Hier Lonely Planet, aujourd’hui Instagram

Les causes de ce «trop» sont multiples: les compagnies aériennes à bas prix et les plateformes de réservation en ligne ont rendu les voyages moins chers et plus faciles. Les navires de croisière transportent toujours plus de personnes. Un autre facteur décisif est l’augmentation fulgurante du nombre de logements de vacances privés. «Des plateformes telles qu’Airbnb ne se contentent pas d’accroître les capacités d’hébergement», remarque la géographe économique Sina Hardaker en citant une étude réalisée par des collègues.

Ces plateformes modifient aussi la morphologie d’une ville, autrement dit la manière dont celle-ci se développe et se structure, souligne la chercheuse de l’Université de Würzburg. «C’est pourquoi le surtourisme est très lié à l’irruption des touristes dans les zones d’habitation.» Une thèse étayée par le fait que l’on entend relativement moins de protestations dans des villes telles que Londres. «La population résidente n’y est pas confrontée au tourisme de la même manière qu’à Barcelone ou à Lisbonne», explique Sina Hardaker. La plupart des personnes vivent loin de l’agitation touristique; les appartements du centre-ville sont toujours inabordables pour elles.

Les prestataires en ligne internationaux posent un autre problème, indique la chercheuse: «Ces plateformes se présentent comme des intermédiaires neutres. Ce qui occulte leur influence sur la destination et justifie dans de nombreux cas qu’elles se soustraient à leurs responsabilités locales.» D’une part, les entreprises numériques sont difficilement saisissables physiquement: certaines ne possèdent pas de logements propres ni de filiales physiques auxquelles on pourrait s’adresser.

D’autre part, leur impact est difficile à saisir: dans quelle mesure Google Maps réduit-il une destination urbaine aux curiosités, commerces et services qu’il mentionne? Combien de personnes visitent les rizières en terrasses de Bali parce qu’elles en ont vu des photos sur Instagram? Evidemment, par le passé, les touristes consultaient souvent la même édition du Lonely Planet et visitaient les mêmes attractions. «Mais la portée d’un guide touristique ne peut pas être comparée aux effets de réseau d’une plateforme telle qu’Instagram.»

Quête de solutions à Venise, Paris et Amsterdam

Les conséquences du surtourisme sont, elles aussi, multiples. Les plus frappantes sont les masses de personnes dans l’espace public, constate le chercheur en tourisme Fabian Weber de la Haute Ecole de Lucerne: places et plages bondées, longues files devant les musées. D’autres conséquences sont moins apparentes: la mise en tourisme progressive qui se manifeste par exemple par le fait qu’un quartier compte une douzaine de magasins de souvenirs mais plus aucune boucherie. L’excès de tourisme se manifeste encore par l’augmentation des prix de l’immobilier et du coût de la vie.

Venise est probablement le lieu qui reflète le mieux les effets de ces excès. Au XVIIIe siècle déjà, la population vitupérait contre les touristes qui encombraient les places publiques, écrit Sebastian Amrhein dans l’introduction d’un manuel consacré à cette question. Cependant, les chiffres ont explosé au cours des vingt dernières années. Plus de 10 millions de personnes visitent chaque année la cité et sa lagune – une des destinations les plus courues au monde.

Tandis que la population du centre historique ne cesse de diminuer depuis des dizaines d’années – non seulement en raison du prix élevé des appartements, mais aussi par exaspération, constate le chercheur de l’Université Rhein-Waal (DE). Pour leur part, les navires de croisière affectent la ville des canaux de différentes manières, comme l’ont constaté des scientifiques dans une synthèse en 2019: non seulement ils portent atteinte au bâti et aux écosystèmes, mais ils ne contribuent pas à une prospérité durable sur place. Les croisiéristes inondent la ville pour quelques heures mais n’y dépensent presque rien.

Les autorités locales ont bien identifié le problème, dit Hugues Séraphin de l’Oxford Brookes University. Les touristes d’un jour devront probablement bientôt payer une taxe d’entrée1>C’est déjà le cas depuis le 25 avril dernier, selon un calendrier préétabli correspondant aux 29 jours de pics d’affluence identifiés pour 2024. La quasi-totalité des week-ends de mai à juillet 2024 est concernée, (site L’écho touristique, 23.04.2024), ndlr. et les grands navires de croisière ne peuvent plus accoster au centre. «Mais ces stratégies ne devraient pas avoir beaucoup d’effet, estime le chercheur qui a récemment édité un manuel sur les raisons de l’overtourisme et les solutions possibles. La plupart des mesures ne visent que le court terme et n’apportent aucune solution. «Le problème principal est qu’à Venise, tout le monde vit du tourisme.» Les groupes professionnels sont extrêmement bien organisés et parviennent ainsi à faire pression sur les politiques.

Pas de résultats sans volonté politique

Pour Hughes Séraphin, la solution à long terme est clairement une meilleure répartition des flux de touristes. Les effets du surtourisme se manifestent rarement dans toute la ville ou durant toute l’année, mais se concentrent sur certains quartiers, certaines saisons ou certains jours de la semaine. Une meilleure gestion du tourisme dans l’espace et dans le temps relève de la responsabilité des décideurs politiques. Avec son parc historique de loisirs du Puy du Fou aux Epesses, la France est par exemple parvenue à créer une grande attraction touristique dans une région plutôt reculée. Cela n’a pas seulement déchargé les incontournables comme la ville de Paris: «Ainsi, des régions économiquement et socialement plus faibles profitent également. Il n’est pas question d’en finir avec le tourisme.»

Amsterdam cherche aussi dans sa promotion à associer les environs de la ville, indique Fabien Weber. «Cela commence déjà avec les noms, remarque-t-il. Le château fort médiéval de Muiden, situé à une demi-heure de voiture, est désormais présenté sous le nom d’«Amsterdam Castle» et la station balnéaire de Zandvoort sous celui d’«Amsterdam Beach».

Les choses bougent également dans les secteurs de l’hébergement et des croisières, constate Fabien Weber. Ainsi, l’Islande a édicté des règles plus sévères sur les émissions et installé des connexions au réseau électrique terrestre pour les navires afin que ceux-ci n’aient plus besoin de laisser tourner leurs moteurs pendant qu’ils sont à quai. Barcelone, pour sa part, ne délivre plus de nouvelles licences pour la construction d’hôtels et réglemente plus strictement la location d’appartements de vacances privés.

Mais Fabien Weber doute aussi de l’efficacité de ces mesures: elles peuvent certes soulager certains quartiers, dit-il, mais en définitive elles ne devraient guère rejaillir sur le nombre de touristes. «Barcelone reste une ville très appréciée.» En outre, dans des villes telles qu’Amsterdam ou Barcelone, situer le seuil de tolérance face au tourisme ne dépend pas seulement du nombre de visiteurs et de visiteuses, mais aussi de leur comportement.

L’exemple de Majorque montre à quel point le succès des mesures dépend en réalité de la volonté politique. Au cours des dernières années, l’île a adopté des règles qui auraient pu avoir de notables répercussions, note le chercheur en tourisme Sébastien Amrhein. Mais après les élections de mai, la plupart d’entre elles ont été levées. «Le nouveau gouvernement mise une fois encore sur la croissance.»

 

Notes[+]

* Paru dans Horizons no 140, mars 2024, magazine suisse de la recherche, FNS, www.revue-horizons.ch

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