On nous écrit

«La mort de tout ce que j’aime»

Carol Scheller-Doyle transmet le témoignage d’un jeune habitant de l’enclave palestinienne.
Gaza

Il y a sept jours, j’ai osé demander au fils aîné d’un ami de Gaza s’il serait d’accord de m’écrire son quotidien en français. Il l’a fait, alors qu’autour de lui et de sa famille les bombardements menacent d’arriver à tout moment. Ils se sentent totalement impuissants et terriblement fatigués devant cette situation infernale. Cette impuissance me dévore personnellement.

Cette famille m’a accueillie à plusieurs reprises lors de mes séjours à Gaza. Le père, universitaire, a de nombreux contacts en France et en Suisse. Il y a séjourné, parfois chez nous. Sa famille vivait dans un bel immeuble avec sa mère, et ses enfants et leurs familles. Leur maison a été détruite et plusieurs de ses habitants sont morts dans les décombres. Ai-je besoin de préciser que mes amis détestent tout ce qui s’apparente à la politique?

En ce moment, mes amis – parents et enfants – sont en vie, mais une vie remplie de deuil, tous ensemble dans une grande souffrance qu’ils se cachent soigneusement entre eux. Le fils aîné de mon ami m’a raconté la monotonie et la tristesse de leurs journées.

Il se lève à 6 heures du matin, sans boire ni manger, part à la recherche d’eau (des récipients d’environ huit litres) et de bois à quelques trois kilomètres de distance de la maison qu’ils ont pu louer. La température à Gaza est d’environ 33°C. De retour à la maison, il aide sa mère à préparer leur unique repas du jour qu’ils prennent ensemble le soir. Toutes les tâches sont difficiles à mener à bien. Il prend une douche et lave ses vêtements à la main. Au souper il y a du riz ou des macaronis: les légumes et les fruits ne font plus partie du menu. Lui et son frère ont mal aux dents.

Très pudique, le jeune homme dit que la pire des choses n’a rien à voir avec ce qu’ils mangent et ce qu’ils boivent. Mes chers amis, qui avaient été si généreux et si pleins de joie de vivre, souffrent maintenant d’un manque de «tranquillité intérieure»: «Quand je quitte la maison, je vois la peur dans les yeux de ma maman, la peur que je ne revienne pas à la suite des bombardements. Personnellement, je suis hanté par tant de souvenirs: la mort de mon oncle, ma tante, mes cousins, tant d’amis de mon âge, la mort de toutes les choses que j’aime et mes souvenirs eux-mêmes sont morts.»

Tout ce qu’on veut c’est que cette guerre s’arrête immédiatement!

Carol Scheller-Doyle,
enseignante à la retraite du DIP, Genève

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