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Les pompiers pyromanes

L’inaction des gouvernements occidentaux face à la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza «ne fait en réalité qu’encourager l’extrémisme religieux», selon Nicolas Rousseau, qui s’interroge sur les retombées à venir d’une telle posture.
Gaza

Cessez-le-feu durable à Gaza? Maintien du financement de l’UNRWA? Reconnaissance d’un Etat palestinien? A entendre le gouvernement israélien et ses zélateurs occidentaux, autant de décisions qui renforceraient le Hamas.

Quelle erreur de jugement!

Comment ignorer que c’est précisément la continuation des attaques indiscriminées sur Gaza qui alimente la propagande des islamistes? Ces derniers ont beau jeu de dénoncer les exactions israéliennes et l’inaction des Occidentaux, accusés de ménager Netanyahou. Et comment croire qu’à mesure que leur martyre se prolonge, ces populations ne vont pas aspirer à une revanche, et rejoindre bientôt les rangs de ceux qui leur apparaissent comme les seuls résistants dignes de ce nom? Beaucoup ne vont-elles pas rêver un jour de raser aussi les villes de l’ennemi, d’affamer leurs habitants, de les écraser sous les bombes? La Nakba de 1948 a déjà beaucoup nourri le ressentiment des Palestiniens, qu’en sera-t-il de celle que les Gazaouis subissent ici à nouveau, à certains égards plus traumatisante encore? Viendront-ils demain accepter de bonne grâce toutes les exigences de paix des Occidentaux, lesquels les ont laissés des mois sans défense?

Quant aux groupes djihadistes qui essaiment à bas bruit en Afrique et en Asie, peuvent-ils imaginer meilleure arme de recrutement que toutes ces images de civils exposés aux ravages d’armes américaines, de prisonniers palestiniens aussi humiliés que dans les prisons d’Abou Ghraib ou de Guantanamo?

Par ailleurs, supprimer l’aide qu’apportent les organismes spécialisés de l’ONU, n’est-ce pas ouvrir la porte à d’autres agences plus imprégnées d’islamisme, les écoles coraniques, les institutions caritatives proches des Frères musulmans, entre autres? Certes, l’UNRWA a peut-être commis des erreurs, mais elle agit au moins dans le cadre d’une certaine neutralité confessionnelle et politique.

Ne pas reconnaître l’Etat de Palestine car les conditions de sa création ne seraient pas réunies? C’est oublier qu’il existe une entité palestinienne déjà largement reconnue, certes affaiblie et discréditée aujourd’hui, mais qui le serait encore davantage si de grands Etats occidentaux continuaient de ne pas y installer d’ambassades. Là encore, leur inaction ne fait en réalité qu’encourager l’extrémisme religieux.

Il faut du reste s’étonner ici que, pour gérer la situation une fois la guerre terminée, ils privilégient des régimes de la région plus ou moins dominés par une idéologie islamiste marquée, l’Arabie saoudite, les Emirats ou le Qatar, dont nous nous rapprochons surtout parce qu’ils ont de l’argent et du pétrole à profusion, mais sans par exemple nous inquiéter de l’antisémitisme larvé qui imprègne encore leur vision du monde. Faut-il vraiment compter sur eux pour que se crée en Palestine un Etat laïque et progressiste? Et ne parlons pas ici de l’Egypte, où sévit un régime autoritaire, lequel ne se prive pas non plus de tolérer l’action de groupes fondamentalistes.

De plus, en appelant à un renouvellement démocratique de l’autorité palestinienne, mais qui se fasse sans aucun apport de formations qui leur seraient hostiles, les Européens ne renforcent-ils pas d’emblée le sentiment anti-occidental qui prévaut déjà dans la région? Oui à des élections dont le résultat serait déjà calibré d’avance, voilà un discours auquel nous ont plutôt habitués ces régimes autoritaires que par ailleurs nous dénonçons à l’envi!

Bref, tout porte à croire que loin d’éradiquer le Hamas, la politique actuelle d’Israël et de ses soutiens ne va que le renforcer. Peut-être est-ce d’ailleurs ici la simple continuation d’une stratégie appliquée depuis longtemps par le Likoud et ses alliés: pousser toujours plus les Palestiniens à la radicalisation, voire au terrorisme, cela pour affirmer qu’il n’y a pas de place à côté d’Israël pour un Etat dominé par des terroristes… De fait, n’est-il pas prouvé que dès les années 2000, Netanyahou n’a guère agi pour enrayer l’essor du Hamas ni pour bloquer son financement par le Qatar, ce qui lui permettait déjà d’affaiblir les laïcs palestiniens et d’éloigner ainsi toute solution négociée?

Il est d’ailleurs significatif que, parmi les relais de cette politique chez nous en Suisse, nous retrouvions un parti tel l’UDC, qui fait de la lutte contre l’islamisme un de ses thèmes de propagande favoris. Tel un pompier pyromane, ne serait-ce pas qu’en réalité, il mise lui aussi sur la perpétuation du mouvement qu’il combat?

Nicolas Rousseau est essayiste et écrivain, de Boudry (NE).

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