Chroniques

La vitrine RN et l’arrière-boutique FN

L’IMPOLIGRAPHE

Il n’y aura pas eu de surprise, ni de miracle: en France, l’extrême droite est en tête du premier tour des législatives, la gauche la suit, la «majorité» présidentielle est larguée. La participation électorale a atteint un record en quarante ans. Et pour la gauche, l’heure est, ou devrait être, à la résistance. Il reste aux Français une semaine pour empêcher le Front-Rassemblement national d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale – et là où il n’est arrivé qu’en troisième position, le Nouveau Front populaire retirera ses candidat·es. On sera alors en France front contre front, et le deuxième tour des législatives sera autre chose qu’une élection: un référendum pour ou contre l’extrême droite.

Selon un sondage publié jeudi dernier, 54% des Françaises et des Français se disaient «inquiets» et 21% «révoltés». Ils ont de quoi – toute la question est de savoir ce qu’ils font de cette inquiétude et de cette révolte. Si, pour Renan, être un peuple c’est «avoir fait de grandes choses ensemble et vouloir en faire encore», qu’est-ce qui est arrivé au peuple français? Le vote pour l’extrême droite (oui, le RN, c’est l’extrême droite) s’est banalisé et, se banalisant, a libéré le discours raciste. Le passage suivant, c’est la banalisation d’un gouvernement d’extrême droite en France, pour la première fois depuis 1940 – et la première fois depuis toujours par voie électorale, sans défaite militaire préalable.

Du Front national de Le Pen au Rassemblement national de Le Pen, on n’a changé que de stratégie, pas de fond politique. On est simplement passé d’une stratégie de bordel maximum à une stratégie de ratissage maximum. Mais derrière la vitrine RN, il y a toujours l’arrière-boutique FN. Et sous cette arrière-boutique, la cave vichyste. Et tout cela pue: préférence nationale, logements étudiants réservés aux Français, suppression du droit du sol, chasse aux pauvres (comme en Italie, où le gouvernement de la «postfasciste» Meloni a supprimé le revenu de citoyenneté qui permettait à un million de personnes de ne pas sombrer dans la misère), chasse aux Roms, privation des immigrant·es de la gratuité des soins, voire des prestations de la Sécurité sociale, privatisation (et si possible bollorisation) de l’audiovisuel public, épuration culturelle – d’ailleurs, une politique culturelle publique, le FN n’en voulait pas, et le RN non plus, même s’il ne le dit pas. Une politique sportive, oui, évidemment, mais une politique culturelle non, ou alors réduite au patrimoine (le plus ancien) et au folklore (le plus insignifiant) – le mot d’ordre, c’est toujours «un esprit vide dans un corps fort»…

Ce qui n’est plus au programme avoué du RN est toujours à son programme réel, celui qu’il ne proclame plus – sauf quand l’un ou l’une de ses cadres ou de ses candidat·es oublie la consigne de prudence des chef·fes, comme lorsque le député sortant et putatif ministre RN de l’Education nationale Roger Chudeau s’en prend aux binationaux comme à des demi-Français ou des traîtres en puissance. Comme les juifs, naguère. Privons donc les uns d’emplois publics comme on en avait exclu les autres: «nul ne peut servir dans une administration française s’il n’est né de père français», édictaient les ordonnances de Vichy. Chudeau s’en est pris nommément à l’ancienne ministre socialiste de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem: se serait-elle appelé Berthe Bolomey, l’aurait-il évoquée? Et le reste est l’avenant: Bardella ressort le concept de «Français d’origine étrangère», ces «Français de papier» comme les désignait l’Action française; un député sortant RN de la Haute-Marne regrettait que «dans le paysage médiatique actuel, la notion de race soit niée»; le candidat RN dans la 3e circonscription du Cher veut, lui, «mettre au pas le Conseil constitutionnel»… Quant à ceux qui respectent la consigne officielle de ne pas dire ouvertement ce qu’il conviendrait de confiner in pectore, ils font tout pour tenter de faire oublier qui ils sont, comme ce député sortant de la 7e circonscription du Var, négationniste.

Il faudra plus qu’un «barrage» républicain pour fait obstacle au Rassemblement national, il faudrait aussi de la mémoire. Et elle se perd. «On a tout essayé sauf l’extrême droite, alors pourquoi pas elle…?» Parce que la France ne l’a pas essayée, l’extrême droite? «La France a été trop longtemps le dépotoir du monde, il faut en finir…» Du Jordan Bardella? Non, du Pierre Laval, en 1942, juste après la grande rafle parisienne du Vél’ d’Hiv’, en 1942.1>Les 16 et 17 juillet 1942, 12’884 hommes, femmes et enfants juifs sont arrêtés par la police parisienne. Presque tous seront déportés à Auschwitz et exterminés par les nazis. Lors des élections européennes, le Rassemblement national est sorti en tête à Oradour-sur-Glane…2>Le 10 juin 1944, 643 habitants d’Oradour-sur-Glane étaient massacrés par une division SS.

«Lorsque l’extrême droite est aux portes du pouvoir, hiérarchiser les périls devient une obligation», proclamait Raphaël Glucksmann dix jours après le triomphe du RN aux Européennes. Traduction? On a bien des divergences avec la France insoumise, et Mélenchon nous insupporte, mais, comme le résume notre camarade Halima Delimi, qualifiée pour le second tour du Nouveau Front populaire pour la circonscription helvétique des Français de l’étranger: «On peut s’asseoir et discuter avec les membres de la France insoumise, tout comme avec les écologistes et les communistes. Avec le Rassemblement national, c’est impossible.» Là, on ne s’assoit pas: on reste debout ou on se couche. Et puis, quand même, une victoire du Front populaire français en Suisse (et au Liechtenstein), ça aurait de la gueule, non?

Notes[+]

Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg L'Impoligraphe

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lundi 8 janvier 2018

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