Édito

Le barrage cède

Le barrage cède
La dirigeante de l'extrême droite française, Marine Le Pen, réagit alors qu'elle rencontre des partisans et des journalistes après la publication de projections basées sur le décompte réel des votes dans certaines circonscriptions, dimanche 30 juin 2024 à Henin-Beaumont, dans le nord de la France. KEYSTONE
France

Aucune surprise dans les résultats de ce premier tour des législatives françaises. Comme le prévoyaient les sondages et les élections européennes du 9 juin, l’extrême droite conduite par le Rassemblement national explose ses scores à ce type de scrutin et arrive en tête, avec selon les dernières estimations 34% des voix. La gauche ne réalise pas l’exploit qu’elle s’était fixé au sein du nouveau Front populaire, en stagnant autour de 28% des suffrages (en 2022, elle avait obtenu près de 30% toutes gauches confondues au premier tour). Son alliance exemplaire, combinée à un programme économico-social de belle facture – montrant la possibilité d’abroger la si impopulaire réforme des retraites, de revitaliser des services publics laminés, d’augmenter les salaires, etc. –, n’a pas convaincu au-delà de ses partisan·nes habituel·les. On ne regagne pas un électorat populaire perdu en plusieurs décennies en l’espace de trois semaines, d’autant que le pouvoir s’est appliqué à salir et à décrédibiliser la gauche.

Les jeux restent très ouverts pour le second tour de ce dimanche 7 juillet et il convient de rester prudent. Mais le résultat final dépendra des consignes de vote de la «majorité présidentielle», et de la droite.

Appelleront-ils à faire «barrage à l’extrême droite», comme la gauche l’a fait à plusieurs reprises par le passé – et le fait encore aujourd’hui – en appelant à voter Jacques Chirac, Emmanuel Macron et son camp –, quitte à faire élire les progressistes?

Rien n’est moins sûr. Les premières déclarations faites hier soir à l’annonce des résultats sont loin d’être encourageantes. Le président a appelé à un «large rassemblement démocrate et républicain». Or ne s’est il pas lui-même employé ces deux dernières semaines à placer La France insoumise (LFI) en dehors de l’arc républicain et de sous-entendre à tort des accointances antisémites dans cette formation? Du côté du «centre», avec les déclarations de François Bayrou et d’Edouard Philippe, on va un peu plus loin, en excluant clairement LFI. Même son de cloche du côté de la droite traditionnelle, les Républicains renonçant explicitement à donner une consigne de vote. Seul le premier ministre, Gabriel Attal, évoque un retrait possible des candidats de son camp.

A moins d’un retournement d’ici à mardi soir, date à laquelle les désistements de candidats arrivés troisième devront être annoncés, c’est un boulevard à l’extrême droite que la majeure partie de la classe politique française, gauche exceptée, déroule devant nos yeux. Les appels de la droite et des soi-disant «ni de gauche ni de droite» à «faire barrage», durant plus de vingt ans, n’apparaissent aujourd’hui que comme des cris d’orfraie. La digue n’était sans doute tenue que par la gauche.

Seuls celles et ceux qui n’ont guère de lecture socio-économique et de classe de l’histoire en seront surpris aujourd’hui. En dignes représentants du patronat et des riches, les partis de droite et leur avatar macroniste craignent aujourd’hui bien davantage une fiscalité plus progressive, l’abandon des cadeaux faits aux grandes entreprises et de nouvelles dépenses sociales conséquentes que les politiques discriminatoires et attentatoires aux libertés de l’extrême droite. Espérons que l’on nous donne tort d’ici à mardi!

Opinions Édito Christophe Koessler France

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