Une voix de l’Italie populaire s’en est allée
«Merci pour ton immense travail de recherche sur la musique populaire», «nous perdons une authentique et courageuse compositrice, chanteuse, autrice» ou encore «elle a écrit des pages indélébiles de la musique italienne, elle a fait rayonner le chant populaire dans le monde entier». Voici quelques-uns des éloges de ses collègues musiciens et musiciennes italiens. Giovanna Marini est décédée le 8 mai dernier. Elle avait 87 ans. Elle a consacré sa vie aux recherches musicales, sillonnant l’Italie pour en étudier les chants populaires. Plus précisément en explorant le canto radicato – le chant «à racines» – sorte de polyphonie complexe qui tire ses origines des Pouilles, dans le sud de l’Italie.
Née en 1937 à Rome, dans une famille de musiciens, Giovanna Marini s’est initiée d’abord à la guitare classique. Elle a étudié et popularisé les chants des partisans, ceux des luttes ouvrières et des résistances anarchistes, ainsi que les chansons traditionnelles vouées à l’oubli, berceuses et complaintes des veillées funèbres. Tout en participant à des spectacles, elle a, pendant des années, cherché, exhumé, transcrit et adapté des répertoires de tradition orale transmis de générations en générations. Elle a aussi enseigné en tant que professeure d’ethnomusicologie à la Scuola di musica popolare del Testaccio de Rome, qu’elle a contribué à fonder en 1974, ainsi qu’à l’université Paris VIII-St-Denis.
Militante «rouge», féministe, Giovanna Marini a côtoyé des intellectuels italiens comme Pier Paolo Pasolini ou Italo Calvino. Elle a également travaillé avec Dario Fo dans un spectacle de chants populaires, Ci ragiono e canto, qu’elle présenta comme une «photo de la condition actuelle du monde populaire et prolétaire en Italie… Il ne s’agit pas de folklore, mais d’un spectacle sur la civilisation prolétaire, sur sa situation concrète».
Dans les années 1960, elle fait la connaissance de Giovanna Daffini, «chanteuse paysanne» qui a mis en mots et en musique le dur labeur dans les rizières. De cette dernière on garde en mémoire la magnifique chanson «Se otto ore vi sembran poche, provate voi a lavorare…» (Si huit heures vous semblent peu, essayez donc de les travailler), véritable hommage aux mondine nelle risaie, ces saisonnières désherbant les rizières de la plaine du Pô. Giovanna Marini participa avec elle à l’aventure du groupe musical Nuovo canzoniere italiano, et, surtout, apprit d’elle la manière de chanter des mondine, aux voix incomparables et inimitables.
C’est en s’engageant dans le mouvement ouvrier et prolétaire que Giovanna Marini, surnommée la «Joan Baez italienne», a revalorisé le chant populaire et sa valeur politique. Très connu, son album réalisé avec Francesco De Gregori (Il fischio del vapore, 2002) contient une chanson, «I treni di Reggio Calabria», qui évoque une page marquante de l’histoire italienne. En 1972, alors que l’Italie est secouée par une succession d’attentats fascistes, une grande mobilisation syndicale est prévue pour le 22 octobre, jour de grève générale, dans la ville de Reggio Calabria. L’évènement a été organisé en Calabre pour marquer la solidarité des travailleur·euses du nord envers celles et ceux du sud. Mais la nuit précédente, des trains que devaient prendre les manifestant·es font l’objet d’attaques à la bombe. Ces dernier·ères parviendront malgré tout à rejoindre leur destination. La manifestation peut avoir lieu, entre colère, tristesse, joie et fierté. Politique, la chanson de Giovanna Marini témoigne des états d’âme, des peurs et des craintes de ceux et celles qui cheminent en train, dans une Italie à feu et à flammes.
Difficile de résumer en quelques lignes le riche parcours de Giovanna Marini. Si le cœur vous en dit, écoutez «Gorizia tu sei maledetta», «I treni di Reggio Calabria», «Lamento per Pier Paolo Pasolini», chantées ou écrites par elle. Ou encore une de ses innombrables interprétations de «Bella ciao» lors des fêtes nationales du 25 avril. Son engagement musical, artistique, politique et social mérite toute notre reconnaissance.